Il fallait voir tous ces arbres fruitiers dont les branches ployaient sous le poids des beaux fruits. Abricotiers, orangers, pruniers, plaqueminiers, pommiers et poiriers s'offraient généreusement au regard des passants émerveillés. Qui ne connaît pas Ammi Hachemi, le fameux jardinier-artiste et ses vergers dans le quartier de Zougala. Les gens venaient de partout pour visiter son secret et c'en était vraiment un. Ammi Hachemi prenait grand soin de ses arbres et veillait très tard pour contrôler les séances d'irrigation en présence d'autres jardiniers qui venaient pour recueillir quelques recettes. «Goûtez à mes fruits, mais surtout ne cassez pas les branches», dit-il en s'adressant aux jeunes qui voulaient visiter les vergers. En ville, près de la place du marché, Ammi Hachemi avait son étalage et tout le monde se pressait pour acheter ces fruits sortis des jardins d'Eden. Il faisait aussi profiter les voisins et même les gens de passage. Mais personne n'avait songé que ces merveilleux vergers puissent disparaître un jour. Et pourtant, ce sera le cas. En effet, un mardi de l'année 1980, Ammi Hachemi rend le dernier soupir à l'âge de 96 ans, laissant ses vergers abandonnés. Les nombreux héritiers pensaient surtout à recevoir leurs parts en monnaies sonnantes et trébuchantes. Et ce qui devait arriver, arriva : les arbres fruitiers seront détruits par manque de soins. D'ailleurs, les héritiers ne tarderont pas à les morceler en lots de terrain à bâtir. Ainsi, ces magnifiques vergers seront remplacés par des habitations à l'allure lugubre. D'autres vergers vont disparaître pour laisser place à des étages en béton armé. En guise de punition, plusieurs sources ont tari et Ammi Hachemi a dû se retourner dans sa tombe. Aujourd'hui, les anciens jardiniers n'ont plus que leurs yeux pour pleurer… J'ai oublié de vous dire quelque chose chers lecteurs : j'ai visité ces vergers enchanteurs après la disparition de nos chers jardiniers et plusieurs variétés de fruits n'existent plus comme la prune, le citron doux, la poire dit blaquette et le Mezah (petite pomme au goût de pêche). Les oiseaux, eux aussi, ont quitté ces lieux inhospitaliers à la recherche d'un paysage plus clément…