C'était dimanche dernier après les manifestations de soutien au peuple palestinien et les habitants de Ghaza, la ville martyre, je me suis retrouvé dans la salle d'attente d'un médecin spécialiste en plein centre-ville pour attendre mon tout pour une consultation. Là alors, j'ai assisté à une véritable «table ronde» improvisée spontanée qu'a provoquée un vieux à barbe blanche qui a assené à l'auditoire : «Je ne reconnais pas cette jeunesse actuelle de moins de 18 ans, ils ne pourront jamais devenir responsables ! Ce qu'ils connaissent le mieux, ce sont les voitures luxueuses, les pizzerias et la pâtisserie...». Un autre vieux appuyé sur sa canne lui répliqua sèchement : «Je suis un ancien émigré, j'ai travaillé comme peintre en bâtiment pendant 20 ans en France, je ne suis pas d'accord avec toi, les jeunes ne sont pas responsables de ta détresse actuelle, ces jeunes que tu sous-estimes n'ont pas vendu les terres à l'occupant en 1830. Actuellement ces jeunes sont instruits et sont devenus médecins, ingénieurs, alors qu'avant l'indépendance, on nageait dans l'analphabétisme. Pendant la guerre de libération nationale, mon patron français m'a dit «Tu es un bougnoul, retourne dans ton pays». Un autre vieux entra dans la discussion sans protocole : «Je suis d'accord avec le peintre, mais notre pays est mal géré, la bureaucratie bloque toute bonne volonté et ce dans tous les services publics étatiques, mais il ne faut pas accuser les jeunes, nous sommes responsables de leur éducation, qu'avons-nous fait pour leur apprendre l'honnêteté, la morale professionnelle, la déontologie, la différence entre le bien et le mal. Je le dis, je le répète, c'est de notre faute. Certes, nous avons libéré le pays de l'occupation coloniale, voyez ce qui se passe à Ghaza où la Palestine n'a pas été libérée entièrement avec un Etat souverain avec ses frontières et ses bornages mais nous avons oublié l'essentiel et le plus important : préparer la relève pour les générations à venir». Un jeune assis à côté de moi clôtura la table ronde improvisée avant d'être appelé par l'infirmier pour entrer chez le médecin spécialiste et répondit à la génération d'avant 1962 : «Ya Bouya, dira-t-il, au vieux qui a condamné la jeunesse actuelle, et à celui qui a accusé les vieux d'avoir vendu leur terre en 1830, connaissez-vous ce qu'était l'Algérie avant l'invasion coloniale française (débarquement de Sidi Fredj), on vendait le blé aux Français et lorsque le Dey a levé l'éventail pour demander à l'ambassadeur de France de payer les factures de blé livré par l'Algérie, nous avons été envahis !». Quelle leçon d'histoire ce jeune malade a assené à l'auditoire d'une génération qui a certes libéré le pays, mais a oublié de penser aux générations montantes et surtout à l'après-pétrole. C'est très intéressant d'écouter deux générations (les vieux et les jeunes) discuter entre eux sur le passé, le présent et l'avenir de notre pays. Cela nous permettra de mieux cerner les véritables besoins de notre société en mutation et d'éviter la «cassure profonde» entre deux générations, l'une qui a libéré le pays et assuré son intégrité territoriale, et l'autre celle d'aujourd'hui mal formée ne pensant qu'à mettre les voiles pour d'autres cieux en Occident où l'attendent le froid glacial, le racisme, l'incompréhension et peut-être la mort précoce dans une chaloupe mal amarrée.