L'aïd est passé, clôturant un ramadhan marqué, comme chaque année depuis des lustres, par une hausse des prix aussi prévisible que brutale. Le mois dédié à la spiritualité et la fête destinée au partage avec les plus pauvres se sont transformés en séquences spéculatives entre consommateurs dans le désarroi et intermédiaires incontrôlés. Ce n'est pas le premier ramadhan de l'Algérie et pourtant, la spirale inflationniste, comme chaque année, connaît une accélération rituelle devant laquelle les autorités semblent désemparées. A croire qu'aucune mesure de régulation du marché ne semble possible, aucune observation des transactions n'est envisageable : les acteurs dominants font comme bon leur semble. L'Etat, même s'il légifère à n'en plus finir, est en congé, laissant les petites bourses entre les mains avides de ceux qui tirent d'immenses avantages de la désorganisation structurelle et de l'anarchie des approvisionnements. Le mois de la spiritualité est celui où les intermédiaires plus ou moins patentés s'enrichissent sans cause et exhibent sans retenue les signes ostentatoires de l'argent facile, littéralement extorqué aux plus faibles. Si au moins cette catégorie de nantis recyclait les surplus engrangés du fait de la défaillance des services publics, dans la production ou dans la création. Même pas. Ils en sont - qui en douterait ? - intellectuellement et culturellement incapables. Les nantis de ce pays ne forment pas une bourgeoisie entrepreneuriale mais une caste de nouveaux riches sans attaches ni références. La seule contribution sociale et le seul indice d'une problématique spiritualité consistent, parfois, à financer la construction de lieux de culte, histoire sans doute de s'assurer une place en classe «affaires» dans l'au-delà. L'exhibition de ces fortunes fulgurantes est devenue, au fil du temps, un spectacle habituel. Il ne suscite même plus l'indignation de ceux qui, le couffin douloureux, voient passer au volant de grosses cylindrées les rentiers du désordre. Paradoxe révélateur : ceux qui pâtissent le plus de cette situation absurde sont inaudibles. De fait, les plaintes et récriminations viennent surtout du patronat et des concessionnaires automobiles qui se lamentent à longueur de complaisantes colonnes sur le sort qui leur est fait au nom de la compression des importations. On ne risque rien à parier que pour ces honorables commerçants, le réveil post-ramadhan sera moins pénible que pour les petits budgets appelés à gérer les dépassements quasi obligatoires consentis pendant le mois sacré. A l'image de ces enseignants du supérieur, moins bien payés que leurs collègues de la très pauvre Mauritanie, qui reprennent, des bleus dans l'âme, le chemin d'universités dédaignées par les spéculateurs. Pour nombre d'entre eux, les préoccupations quotidiennes et muettes se focalisent sur les problèmes d'intendance. Quel type d'enseignement et quelle transmission de savoir sont possibles dans un tel état d'esprit ? N'importe quel maquignon ou demi-grossiste dispose d'un revenu infiniment supérieur sans avoir passé des années à s'échiner devant un pupitre. Il en va ainsi des sociétés qui se forgent les modèles qu'elles peuvent.