Le malaise des minorités chinoises, qu'elles soient ethniques ou sociales, est profond. Le mythe d'une Chine unie et unique est ainsi sévèrement mis à mal par la réalité. «Bonjour ! Même si je ne t'écris pas avec mon adresse e-mail habituelle, j'espère que tu sais qui je suis. Désolé mais nous ne pourrons pas nous voir ces prochains jours. Des gens à la fac surveillent tout ce que nous disons, nos téléphones ont été placés sur écoute et nos e-mails sont lus. Il est trop risqué pour moi que l'on se voit, même pour discuter de la vie comme nous avons l'habitude de le faire. Ne réponds pas sur cette adresse e-mail, je ne l'utiliserai plus». Ce message, reçu la semaine dernière, s'avère pour le moins glaçant. Il témoigne de l'état de suspicion et de peur dans lequel vivent les Ouïghours de Pékin, ou du moins de certains d'entre eux. A quelques jours de la célébration du 60e anniversaire de la création de la République populaire de Chine, il confirme à lui tout seul l'échec flagrant du mythe de la Chine unie et unique promu et poursuivi par tous les différents dirigeants communistes, depuis leur arrivée au pouvoir. Les émeutes de ces deux dernières années aux Tibet et au Xinjiang avaient déjà donné une idée du malaise grandissant des autochtones. Au-delà de ces réactions sporadiques, les relations sur place entre les différentes ethnies appuient la thèse d'une hostilité profonde. «Nous sommes ici chez nous, ils ne nous feront jamais partir et s'il le faut, nous prendrons les armes et nous les éliminerons», tonnait un Chinois Han d'Urumqi quelques jours après les émeutes du mois de juillet, un couteau à la main. Le regard noir, vif mais dirigé vers le sol, un restaurateur Ouïghour installé en plein quartier musulman avouait de son côté «être surveillé comme tout le monde ici depuis des mois. Pourtant, ils feraient mieux de regarder les Hans. Ce sont eux qui empiètent sur notre ville, sur nos activités et réduisent peu à peu notre espace de vie». Les deux communautés ont de plus de en plus de mal à coexister, malgré les ambitions proclamées du gouvernement en la matière. Le mécontentement ne se limite pas aux ethnies non han. Les habitants des campagnes et les ouvriers migrants les ayant quittés s'avouent également peu enchantés par leurs conditions de vie et de travail. Les grèves et les manifestations se multiplient ainsi dans les usines du pays. Selon l'organisation non gouvernementale China Labour Bulletin, basée à Hong Kong, le comité d'arbitration des contentieux professionnels a accepté 350.000 plaintes impliquant 650.000 travailleurs en 2007, 693.000 cas pour 1,2 million d'employés en 2008, suite à l'entrée en vigueur de la Loi sur le contrat de travail le 1er août 2008. Au-delà du non-respect des lois du travail, cette ébullition sociale s'explique avant tout par le manque de confiance envers les dirigeants chinois. Les annonces officielles, quelles qu'elles soient, ne convainquent plus quiconque. La corruption et le manque d'empathie des élites, plus aisément perceptibles au niveau local, ont fait perdre toute crédibilité au parti communiste. Les mouvements populaires à l'encontre des autorités se sont multipliés ces dernières années, si bien que Pékin ne diffuse plus leur nombre. Le dernier relevé indiquait 87.000 incidents de masse en 2005 et, selon des officiels anonymes du parti communiste, il y en aurait eu 127.467 en 2008. L'harmonie sociale recherchée par le président et secrétaire général du parti, Hu Jintao, demeure décidément bien utopique.