Quand des hommes d'affaires du Maghreb se rencontrent, de quoi peuvent-ils débattre ? De pas grand-chose en réalité, si ce n'est de quelques vagues espérances que l'on ressasse dans ce genre de rencontre, plus par rituel que par conviction. Nos Etats sont très imparfaits mais ils ont réussi en commun à ne laisser aucune marge aux sociétés civiles. Le Maghreb, c'est eux. Le résultat, on le connaît, c'est rien, hormis quelques structures bureaucratiques offertes comme ersatz. Le Maghreb, c'est en définitive «pas de volonté, avant le pas de chance», disent les anciens qui ont porté l'idée maghrébine. Les plus jeunes auraient peut-être tendance à souligner que le Maghreb a eu la malchance d'avoir des élites dirigeantes qui ont choisi de gouverner l'un contre l'autre plutôt que de se projeter sur l'avenir. De Tripoli à Nouakchott en passant par Tunis, Alger et Rabat, des générations entières ont subi les tropismes, arabes parfois, européens souvent, des castes dirigeantes qui, malgré la mise en place d'institutions maghrébines, ont œuvré à rendre la perspective maghrébine plus qu'improbable. Il est miraculeux de constater, à la faveur d'un match de foot par exemple, que dans nos sociétés, le Maghreb continue d'être perçu comme un espace humain, culturel et géographique qui va de soi. On invoque souvent pour ce non-Maghreb la question du Sahara Occidental, et ce n'est pas faux. Mais il serait totalement erroné de réduire le non-Maghreb à cette question. Les Etats «non parties» à ce conflit ne commercent pas davantage entre eux. Et en termes de chiffres absolus, les échanges algéro-marocains ne sont pas les plus mauvais de la région. Les échanges intermaghrébins, eux, sont très pâles, à peine 3% de l'ensemble des transactions des pays maghrébins avec l'extérieur. Les échanges de nos pays avec l'extérieur se font à 70% avec l'Europe. Les politiques - ou les non-politiques - qui empêchent de donner un contenu concret au Maghreb sont une terrible réussite. On parle de 2 points de PIB de moins par an pour chacune des économies, ce qui est très important. Faut-il invoquer des projections d'experts pour comprendre qu'un espace économique maghrébin est bénéfique à tous ? Tout le monde le sait parfaitement. Les gouvernants en premier. A Tunis, les hommes d'affaires maghrébins avaient sûrement des idées. Mais comme toujours dans ce genre de rencontres quasiment paraétatiques -, il est toujours frappant de voir les individus et leurs idées s'effacer. Tous deviennent des porte-parole de leurs propres gouvernants. Le réflexe de la subordination est terrible. A Tunis, on a annoncé que la Banque maghrébine pour l'investissement et le commerce extérieur (BMICE) démarrera ses activités en septembre 2010. C'est une bonne nouvelle dans un contexte maghrébin désertique. Mais en même temps, l'histoire de cette Banque maghrébine donne à réfléchir, quand on sait que sa création a été décidée dans le cadre d'accords signés en 1991. Vingt ans pour lancer une banque dotée d'un capital de 500 millions de dollars, on a presque envie d'applaudir le record d'inertie de nos Etats !