Depuis sa réélection en avril 2009 pour un troisième mandat présidentiel, Bouteflika s'est emmuré dans le silence et a réduit au strict minimum ses apparitions en public. Un comportement qui détonne avec celui qui fut le sien les années précédentes. Un tel changement ne pouvait qu'intriguer les Algériens et leur faire se poser des questions sur ses raisons. Aucune réponse à leur question n'étant venue des milieux officiels, ils se rabattent sur les rumeurs qui se colportent et les spéculations qui s'échafaudent sur le sujet. Que leur rabâchent celles-ci et celles-là ? Que Bouteflika ne serait pas à la fois au mieux de sa santé physique et libre d'exercer sa fonction comme il l'entend. Faute d'autre explication au silence et à l'effacement présidentiel, beaucoup d'entre eux prennent pour argent comptant ce qui leur est distillé par les cercles qui propagent les raisons évoquées. La première a une apparence de vérité. Le Président n'a plus effectivement le tonus qui fut le sien avant sa maladie. Mais pas au point de n'être plus en mesure de s'adresser quand c'est nécessaire à la nation et de faire l'impasse de sa présence à l'occasion d'évènements nationaux marquants. Ses apparitions publiques, devenues rares, donnent à voir un Président dont la fraîcheur physique n'est nullement altérée. La seconde n'est à notre avis que le fruit du fantasme que cultivent certains cercles politico-médiatiques. Depuis réélection en 2004, Bouteflika est d'entre tous les présidents qui ont gouverné le pays, celui qui s'est acquis la plus grande marge d'autonomie dans l'exercice de sa fonction. Il n'a pratiquement plus de contre-pouvoir en face de lui avec qui il serait obligé de composer. Pas même celui que l'institution militaire est censée constituer. Bouteflika a joué de toute son intelligence tactique, et elle est grande, à sortir l'armée du jeu politique. Il y est parvenu. Le poids de l'institution militaire n'en demeure certes pas moins une réalité qu'il ne sous-estime pas, mais sans être dans l'obligation, comme le pensent ses adversaires, d'être obligé de référer à elle pour tous ses actes de gouvernance. Cela dit donc, les deux raisons données au nouveau et étrange mode d'exercice de la fonction présidentielle adopté par Bouteflika depuis sa réélection ne tiennent, de notre point de vue, nullement la route. Ce qui nous pousse à en avancer une autre. Celle d'un président qui, ayant tout obtenu en terme de pouvoir, ne s'estime plus en obligation de se plier aux contraintes d'une fonction présidentielle normalement assumée. Celles notamment de présider régulièrement le conseil des ministres, d'informer le peuple et d'entretenir avec lui des contacts épisodiques. Ayant tout voulu et tout obtenu, Bouteflika a peut-être succombé à la certitude qu'il n'a plus à sacrifier à des rites qu'il a respectés tant qu'il lui fallait ménager l'opinion du peuple. Plus donc que toute autre chose, son silence et son effacement médiatique sont avant tout les manifestations d'une gouvernance par la suffisance et le mépris.