C'est en étudiant l'expérience des pays de l'Amérique Latine, de l'Europe de l'Est et du Sud et au cas de l'Indonésie que Ahmed Benbitour, ex-chef de gouvernement, a pu bâtir son analyse de la situation actuelle de l'Algérie. C'est ce qu'il a annoncé au début de son intervention devant ses hôtes, militants de partis politiques, syndicalistes et universitaires réunis, vendredi en fin d'après-midi, à Oran. L'expérience des pays cités permet, selon Benbitour, de dégager deux hypothèses. La première est que tout système autoritaire porte en lui les germes de sa désagrégation. La seconde : le changement vient de l'intérieur quand trois conditions se réunissent. Il les énumérera d'une manière très pédagogique : quand la pression de la société est très longue et accentuée sur le pouvoir ; quand les conditions d'alliance des forces de changement sont réunies et quand il y a un élément déclencheur de ce changement. A propos de ce dernier point, il citera comme exemple la mort du Général Franco en Espagne. Concernant l'Algérie, Benbitour fait part de sa conviction que le changement ne peut pas venir de l'intérieur du système. Interrogé sur la nature du changement qu'il évoque, il précisera qu'il s'agit de changement de gouvernance. La nature du pouvoir algérien «autoritariste et patrimonialiste» d'une part et «les formes de distribution de la richesse, d'autre part» - empêche la réunification des chances de changement du système politique algérien, expliquera-t-il. Il notera que la nature rentière du système conjuguée à la prédation mènera inéluctablement à la corruption. Pour Ben- bitour, la corruption est inscrite dans la nature du système lui-même. «Transposer ce système en Suisse, pays réputé par sa rigueur, donnera exactement la même situation». Au passage, l'intervenant critiquera les grands projets engagés par l'Algérie. Le grand risque qui guette l'Algérie est que «l'Etat défaillant» dérive vers un «Etat déliquescent». Quand le pétrole ne pourra plus jouer son rôle de maintien de l'Etat, le risque de déliquescence de l'Etat se précisera, ajoute-t-il. Il avancera même des dates: «C'est entre 2025 et 2035». Abondant dans ce sens, il dira que «la perte de la morale collective» participera pleinement à cette déliquescence. En clair, une somalisation .. Benbitour, qui a lancé son initiative dite CICC (Cercles d'Initiatives Citoyennes pour le Changement), préconise pour «sauver l'Algérie» une démarche basée sur trois axes. Le premier consiste à «innover le travail politique». Pour lui, l'entrisme ou toute velléité de vouloir changer le système de l'intérieur, en participant aux élections et en investissant les institutions actuelles, est voué à l'échec. Le préalable est de socialiser la citoyenneté, estimera-t-il. Le parti en tant que cadre d'exercice du travail politique devient inopérant, affirme-t-il. Le second axe est «l'innovation des instruments du travail politique». Il estime que l'outil Internet et les réseaux sociaux offrent des opportunités extraordinaires de se regrouper et d'échanger autour d'un projet. Il rappellera les résultats d'un sondage publié récemment parlant de 20% d'Algériens qui se connectent régulièrement sur la toile. Il insistera lourdement sur la nécessité d'avoir «une vision» qui servira de cap à atteindre. Enfin, il préconisera de «parier sur de nouvelles forces». Lors des débats, il précisera sa pensée sur ce sujet en disant: «Les nouvelles forces sont les compétences. Les masses et les élites ne sont pas porteuses de changement.» Après l'exposé de son initiative dite CICC, Ahmed Ben bitour a répondu à certaines interrogations de l'assistance. A un ancien cadre du FLN qui lui fera part de son pessimisme, il parlera des potentialités que recèle l'Algérie. Il citera juste le facteur humain en disant que l'Algérie bénéficiera, dans la prochaine décade, d'une embellie démographique inestimable. Et d'expliquer que la tranche 6 ans - 59 ans, c'est-à-dire une tranche en mesure de travailler et de produire, constituera l'essentiel de la pyramide des âges dans un proche futur. D'un autre côté, il expliquera que l'Algérie est actuellement de richesse, de capital financier et de capital humain. Donc, elle a tous les arguments pour se départir des pressions extérieures et de pouvoir négocier sa place dans le concert des nations en position de force. Concernant les compétences comme probable force porteuse de changement, il dira que le monde change à une vitesse vertigineuse à telle enseigne que le capital savoir qu'a accumulé l'humanité durant toute son histoire a doublé en l'espace de sept ans. Donc, l'Algérie doit impérativement mettre le paquet sur la science et le savoir, d'autant qu'Internet offre des possibilités extraordinaires d'accès à ce savoir. On reprochera à Benbitour sa «dénégation du réel» et sa sous-estimation des luttes livrées sur le terrain par les syndicalistes et certains militants associatifs. Mais pour lui, l'Algérie manque «d'architectes» du changement tant souhaité. Son initiative, encore à l'état probatoire, vise à rendre visible et opérationnel cet acteur.