L'Algérie et l'Union européenne se sont dit, mercredi et jeudi, sans complaisance, des vérités sur l'état de leur coopération. L'Algérie a annoncé, devant le Parlement européen, sa ferme décision de revoir les termes de l'Accord d'association, entré en vigueur en septembre 2005. L'Europe hésite. L'impasse politique est inévitable sans un réel effort des deux parties. A l'occasion de la dixième rencontre interparlementaire entre l'Union européenne et l'Algérie, qui s'est déroulée mercredi et jeudi, au siège du Parlement européen (PE) à Bruxelles, les deux partenaires se son livrés à une franche explication sur l'état de leur coopération, en particulier sur le bilan de l'Accord d'association UE- Algérie. Le débat a été rude, direct et sans concessions. Le ton a été donné dès le départ par Mme Leïla Ettayeb, sénatrice et présidente de la Commission de l'éducation et qui présidait la délégation algérienne: «8 ans après la signature de l'Accord d'association qui nous lie, notre industrie est encore faible, nos exportations vers l'UE sont, hors hydrocarbures, nulles et les facilités de déplacement, promises par l'Accord, à nos ressortissants vers l'Europe inexistantes» a-t-elle lancé, avant de préciser: «les parlementaires algériens demandent la révision et la rectification des termes de l'Accord d'association pour être dans un système de coopération de gagnant- gagnant.» Elle n'omettra pas de faire un bref résumé sur la montée des «peurs» en Europe et le développement, à travers les médias, de discours stigmatisant l'immigration qui alimentent les amalgames entre islam, terrorisme, arabes etc. Elle a appelé, dans ce sens, les élus européens à s'impliquer et à intervenir dans les médias pour clarifier les choses et endiguer ces discours et clichés destructeurs qui minent les relations euromaghrébines et d'une manière générale les relations entre l'Europe et les pays du Sud. Prenant la parole, le directeur du commerce, en charge de la Méditerranée à la Commission européenne, le Français Delahousse a axé son intervention sur « la rigidité de l'économie algérienne » et a opéré une attaque en règle sur les dernières décisions du gouvernement algérien, en particulier les lois de finances de 2009 et 2010. Selon lui, ces mesures « sont une violation de l'Accord d'association ». Il a qualifié l'Accord de « léger, basé spécialement sur des aspects commerciaux ». Tout en critiquant les décisions algériennes, il ajoutera que les investissements européens en Algérie ont progressé de 90 % depuis l'entrée en application de l'Accord d'association en 2005. Il relèvera la faible diversification de l'économie algérienne et sa forte dépendance des hydrocarbures. Il fera part des « inquiétudes des entreprises européennes et informera qu'il va se rendre à la tête d'une délégation, la semaine prochaine en Algérie, pour faire part au gouvernement algérien des « inquiétudes européennes ». Enfin, il fera un parallèle avec les Accords de nos voisins maghrébins, le Maroc et la Tunisie, avec lesquels « des statuts de partenaires privilégiés » sont en négociation. LA PARTICULARITE ALGERIENNE C'est avec la même franchise et la même fermeté que le député (RND) Abdelkrim Harchaoui, par ailleurs ex- ministre des Finances en 1999, répondra aux griefs du responsable européen. « L'Algérie a respecté les termes de l'Accord d'association entre 2005, date de son entrée en application, et 2009. Les exportations européennes vers l'Algérie ont doublé, y compris dans le secteur des services. Par contre, c'est l'UE qui n'a pas respecté ses engagements » a-t-il affirmé. Il fera part des « inquiétudes » algériennes à son tour. « Depuis la levée progressive des barrières douanières, l'Algérie a fermé plus d'un million d'entreprises et licencié plus de 400.000 travailleurs » précisera-t-il, avant de s'interroger sur le pourquoi de ces ratés : « l'ouverture de notre marché a été brutale. Nous attendions des investissements - productifs- des Européens. Malheureusement, ils sont absents et l'Algérie est considérée comme un simple marché de consommations importées » dira-t-il en substance. Il reconnaîtra les faiblesses de la diversification de l'économie algérienne et sa faible compétitivité. Mais, l'aide et l'accompagnement de l'UE, attendus sur ces plans, ont manqué rappela-t-il. « Il faut comprendre l'angoisse des responsables algériens face une telle situation » dira-t-il. Répliquant au parallèle fait avec nos voisins marocains et tunisiens, M. Harchaoui tentera d'expliquer la « spécificité » algérienne. Il partira de la situation catastrophique héritée au lendemain de l'indépendance en 1962 en termes de pauvreté en ressources humaines (analphabétisme notamment) et une économie exsangue, pour finir avec les conséquences de la décennie rouge et les affres du terrorisme, en passant par la crise des années 1986 due à l'effondrement des cours du prix qui mettra l'Algérie en situation de cessation de paiement. « Mon pays a été abandonné, isolé durant plus de 10 ans par l'UE et l'Occident d'une manière générale » dira-t-il, avant de signaler que « les marchés financiers nous ont été fermés, malgré les recommandations du directeur général du FMI de l'époque M. Michel Camdessus ». L'orateur insistera sur le caractère social de l'Etat algérien pour des raisons historiques objectives. « Savez-vous que seul le budget de l'Etat assure les équilibres en Algérie ? Et que cette année par exemple, nous avons assuré la rentrée scolaire pour plus de huit millions d'élèves et de 1,3 million autres pour le cycle universitaire. L'Algérie qui n'avait qu'une seule université en 1962, dispose aujourd'hui de 47 universités » dira-t-il. Il rappellera que la santé comme l'éducation sont gratuites pour tous les Algériens. Ce sont ces « spécificités » algériennes qui font que l'Etat a un devoir de protection sociale et de premier responsable financier de construction des grandes infrastructures de base. C'est pourquoi l'Etat algérien souhaite, que pour son intégration à l'économe mondiale et la concurrence des marchés que l'UE tienne compte de ces aspects particuliers. C'est dans ce même ordre d'idée que le député (FLN) Mohamed Nadir Hamimid, ex-ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, a abondé. Il fera part de la volonté algérienne de s'engager fermement dans une modernisation tous azimuts. Il rappellera les volumes financiers des plans quinquennaux, notamment celui de 2O10 2014 avec plus de 286 milliards de dollars. « L'Algérie a besoin des entreprises et de l'expertise européennes » expliquera-t-il, mais avec quelques garanties et surtout un vrai engagement des Européens dans des investissements productifs. Ne pas se contenter du seul aspect du commerce et de la consommation en quelque sorte. Le débat ne s'est pas limité aux seuls aspects économiques. Les questions politiques et diplomatiques ont été abordées, parce qu'elles sont le vecteur d'encadrement de la coopération d'une manière générale. URGENCES POUR LE SAHARA OCCIDENTAL ET LA PALESTINE La délégation algérienne s'est dite consciente qu'une coopération euro-méditerranéenne ne peut avoir de sens ou réussir sans que la résolution des questions du Sahara occidental et de la Palestine. Et pour tout dire, l'Algérie n'est pas en droit d'abandonner un principe sacré, universellement admis et acté par le droit international, à savoir, le principe d'autodétermination des peuples dans le choix de leur avenir. « L'Algérie, s'est appliquée, à elle-même, le principe d'un vote d'autodétermination en juillet 1962. Elle a soutenu ce droit pour le Timor oriental chrétien, contre l'Indonésie musulmane » a déclaré Mme Leïla Ettayeb lors de son intervention. Elle a expliqué, qu'au delà des « relations cordiales et de fraternité avec le Maroc », l'Algérie ne peut se défaire de son principe de soutien au peuple sahraoui à son droit à se prononcer sur son avenir. Le député Abdelkader Bounekraf (FLN) a tenu à clarifier la position algérienne : « l'Algérie respectera la volonté des Sahraouis quelle qu'elle soit. Si les Sahraouis décident, par vote de rejoindre le Maroc, ce sera ainsi. Nous ne dictons pas le choix aux Sahraouis. » Les intervenants algériens ont insisté sur le lien entre la construction et le développement d'une authentique Union du Maghreb et la fin du conflit au Sahara occidental. C'est, pareil pour la mise en place d'une zone de libre échange dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Sans la solution des questions sahraouie et palestinienne, l'avenir d'une coopération juste et profitable pour l'Europe comme pour le sud méditerranée est lourdement hypothéqué. Les députés et sénateurs algériens ont appelé à une plus grande implication politique et diplomatique de l'UE dans ces dossiers, et surtout à parler d'une même voix pour aider à résoudre ces deux conflits. Pour ce faisant, le cadre existe, c'est celui du droit international, de la justice que, par ailleurs les Nations unies ont mis en évidence et voté à travers diverses résolutions, notamment celles du Conseil de sécurité. Les problématiques sécuritaires, notamment celle du terrorisme international, ont été passées en revue. Le Coordinateur de la lute anti-terroriste de l'UE, le Belge Giles de Kerchove, a exposé la stratégie de l'UE en matière de lutte antiterroriste et a déclaré que le prochain Conseil des ministres des Affaires étrangères prévu le 25 octobre se penchera sur le renforcement de la « stratégie de lutte antiterroriste de l'UE. » Pour lui, El Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a fait jonction avec les réseaux maffieux activant dans la bande du Sahel. Plus, l'AQMI tente de nouer des rapports avec les mouvements subversifs dans le delta du Nigéria, autant qu'avec des sectes d'inspiration religieuse au nord du pays. C'est toute l'Afrique de l'Ouest qui est menacée. Le responsable européen s'est interrogé sur l'absence d'un cadre de concertation entre les pays du Maghreb sur ces questions éminemment stratégiques. L'orateur a estimé que le nombre des terroristes dans l'arc du Sahel ne dépasse pas deux katibates (compagnies), soit entre 200 et 240 éléments. Par contre ils bénéficient d'une superficie gigantesque et difficile d'accès. M. Giles de Kerchove s'est dit « conscient que l'expertise algérienne est capitale dans l'élaboration d'une stratégie commune de lutte antiterroriste. Et l'Europe est prête à développer sa coopération avec les services de renseignements algériens. Enfin, tout en reconnaissant le travail fourni par le Centre africain d'études et de recherche anti terroriste d'Alger, ainsi que la toute nouvelle installation du Centre de renseignement conjoint qui regroupe l'Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie, M. Giles de Kerchove, a estimé que les accords de l'Algérie et de la Libye concernant les « Touareg » sont mal appliqués et ne poussent pas les Touareg à leur adhésion. Car, selon lui, la coopération des populations touareg est primordiale dans toute stratégie de lutte dans les pays du Sahel. Dans le débat, la délégation algérienne a dénoncé l'absence, justement, d'une stratégie commune de l'UE dans la lutte antiterroriste. L'exemple du paiement des rançons pour la libération des otages européens pose un vrai problème. S'il est normal de vouloir sauver des vies humaines aux mains des terroristes quitte à payer des rançons, il faut aussi comprendre que ce n'est pas la solution à l'éradication du crime et du phénomène terroriste. Sans porter un jugement moral sur la méthode, la délégation algérienne a appelé l'UE à réfléchir comment sortir de la spirale dans laquelle veut l'entrainer l'AQMI et le crime organisé dans la région du Sahel. C'est l'argent des rançons payées par les Européens, et dont le montant a été estimé à 50 millions d'euros à ce jour par le Coordonateur de l'UE, qui permet l'achat des armes et des bombes qui tuent en Europe et ailleurs, ont fait remarquer les délégués algériens. Cette rencontre entre parlementaires européens et algériens a permis de lever les nombreuses incompréhensions et, surtout, de se dire des vérités, aussi difficiles et crues soient-elles. C'est le prix pour du rêve partagé d'une zone de paix et de prospérité tant souhaitée au Nord comme au Sud.