Nous y sommes arrivés et tout le monde s'y attendait en dehors de ceux que l'argent a aveuglés, au point de ne voir en un pays grand comme un continent, qu'une zaouïa préfabriquée, avec la morale et la générosité en moins. Avec une Histoire handicapée en plus.En fin de compte les chiffres n'étaient que l'illustration d'un mensonge grandeur Etat. Le vrai programme se trouve désormais dans la rue, réplique incontournable pour qui veut y lire de quoi tracer les véritables lignes d'un projet social. L'amour du gouvernant n'a jamais existé, c'est une illusion toute arabe de l'exercice du pouvoir, minée par la ruse entre deux catégories qui jouent à faire semblant. Le pouvoir est un rapport de force. N'en déplaise aux tribuns hâbleurs et suffisants. Les jeunes d'aujourd'hui ne veulent ni du pouvoir, ni du contre-pouvoir. Ils veulent d'une nation, d'un pays qui parle le même langage et ils l'ont prouvé pour dire leur désaccord sur l'ensemble du territoire national en dehors des partis politiques de façades, en dehors des revendications de surfaces. Comme en 54. L'exclusivité de la manipulation a sauté. Même Ali Belhadj, jadis jouant de la religion comme d'une toupie pour se frayer un passage protégé ne trouve matière à survivre politiquement. Vide politique, incapacité de rendre justice, gestion par mépris des valeurs fondatrices de la citoyenneté, fermeture du champ de l'expression libre, nombreux blocages pour l'émergence d'une vraie société civile, mensonges en vrac, ne pouvaient mener qu'à l'émeute face aux meutes des prédateurs. L'huile, la farine, le sucre ? Allons donc ce n'est là que réduction honteuse de la révolte à une histoire de ventre ! Même si le prétexte intéresse ceux d'en haut, c'est juste qu'à cela ils ont des solutions. Ils réduisent les coûts de revient pas les marges. Et en réduisant cette partie des coûts c'est le Trésor public qui finance et donc le citoyen. C'est vers les édifices publics symboles de l'Etat que se dirigent les « casseurs » en priorité. Vers les banques chargées de financer les projets de jeunes promoteurs et où règnent les rejets injustifiés et une bureaucratie digne des descriptions kafkaïennes. Vers les mairies aux pouvoirs squattés par des mal-élus agissant envers le peuple comme par vengeance contre une démographie incontrôlable. Vers les commissariats de police où les plaintes se transforment parfois en accusations, où la gifle du délinquant est un sport favori par désir d'humiliation. Vers les grands magasins symboles de bonnes choses et de laitages et autres jus, aux goûts parfumés, inaccessibles pour un chômeur ou même pour les petites bourses. Si les autres édifices étaient moins protégés on aurait assisté à leur disparition. L'émeute s'attaque aux symboles et si quelques âmes choquées par la destruction trouvent cela barbare, c'est qu'elles ont bien raison. Sauf que l'accusation n'est pas à diriger vers « certains lobbies de la spéculation » comme le prétend sans étonner personne d'ailleurs, le porte-parole du RND, mais vers ceux qui ont appuyé un programme présidentiel sous forme d'une somme d'argent, sans prévoir la dynamique sociale qu'il va générée. Les « lobbies de la spéculation » si cette catégorie est identifiable du point de vue socio-économique, sont le résultat de ce même programme présidentiel soutenu envers et contre tous. Une sorte d'arroseur arrosé. Et lorsque la chapelle étatique des Droits de l'Homme, le CNCPPDH, annonce qu' «aussi légitimes que soient les motifs apportés à ces manifestations, ils ne sauraient justifier de l'usage de la violence et des exactions à l'encontre des édifices publics qui symbolisent l'Etat et des commerces appartenant à des particuliers » on se demande si J.C. Van Damme n'a pas donné quelques cours d'expression au président de cette institution creuse et muette ces derniers jours. Crier à la manipulation à chaque révolte relève de la fuite en avant pour éviter de reconnaître la faillite du système. Un système qui s'est verrouillé de l'intérieur et qui a perdu non seulement ses clefs mais aussi ses serrures. Pour preuve dès les premiers jets de pierres certains se sont précipités sur les agences de voyage. D'autres se sont terrés comme des lapins. Où sont les supporters du système qui vivent de leur seule docilité transformée en avantages. Face à l'émeute il n'y avait que de jeunes policiers armés pour la circonstance comme des « robocops » et poussés à l'affrontement à l'issue incertaine. Qu'en déduire en termes de prospectives ? Que s'il est désormais difficile de gérer le pays dans le calme avec les mêmes hommes et les mêmes pratiques institutionnelles, il est tout aussi difficile de répondre aux besoins d'une génération dépolitisée, infantilisée, qui n'agit que spontanément et d'une manière violente pour faire entendre sa voix. A ce titre l'émeute est la seule réponse au mépris. A ce titre il ne s'agit plus de demander le départ d'un gouvernement qui a largement dépassé ses limites mais de tout le personnel politique qui a joué « à qui perd gagne » et qui a gagné parce qu'il a perdu. Il ne s'agit plus de retirer un fusible lorsque toute l'installation est à changer. Nous sommes à un siècle qui ne peut plus accepter l'adoration des chefs, en se mettant à leur service, mais de chefs qui se mettent au service de leurs administrés par vocation politique. Par choix de servir les autres sans s'en servir. Comparer ce qui s'est passé en Algérie aux évènements de Tunisie et en déduire que chez eux cela ce soit mieux passé avec des robes noires ouvrant les marches, n'est qu'une erreur de plus car cela permet de trouver une toile de fond commune là où tout nous sépare. Sauf les prétextes. Car si les émeutes se cantonnaient jusqu'à présent dans quelques agglomérations contrôlables que va-t-on faire maintenant après avoir réglé la question de la hausse des prix jusqu'à juin 2011?