La rue veut toujours le départ de Moubarak, toujours soutenu par les Américains. Les Frères musulmans ont accepté de discuter avec Omar Souleimane. Le régime joue le pourrissement et suscite les premières fissures dans l'opposition. En dépit d'une pression de la rue qui ne faiblit pas et qui continue d'exiger le départ de Hosni Moubarak, le régime, soutenu par les Américains, résiste et engage les discussions avec l'opposition. Place Al-Tahrir où des centaines de couvertures ont été ramenées hier, les manifestants ne transigent pas sur l'exigence du départ de Hosni Moubarak qu'ils considèrent dénué de légitimité. Des centaines de milliers de personnes ont encore manifesté. Sur la place Al-Tahrir, une messe et une prière de l'absent ont été organisées. Les activistes se considèrent en révolution et non en protestation et ont refusé d'entamer des négociations avant le départ du «raïs». Ahmed Maher, coordinateur du «Mouvement du 6 avril» qui a eu un grand rôle dans le déclenchement de la contestation a souligné que les manifestants veulent «un changement réel du régime, une nouvelle constitution, un conseil présidentiel composé de civils et de militaires, d'un gouvernement de salut national pour gérer les affaires courantes». Sur les négociations menées par des partis d'opposition, dont les Frères musulmans, avec le régime, il a souligné qu'ils ne parlent pas en «notre nom». Le responsable du mouvement Kefaya, Abdelhalim Kandil, est dans la même position et a souligné que le dialogue dans les circonstances actuelles ne sert pas l'intifada des Egyptiens. Il a estimé que les Frères musulmans se sont trompés en s'engageant dans le dialogue avec le régime. L'unité de l'opposition commence à être ébranlée alors qu'à la place Al-Tahrir, on a décrété la «semaine de la résistance». Les Frères musulmans affirment qu'ils ont accepté le dialogue sans renoncer aux exigences formulées par les manifestants dont le départ de Moubarak. Mais le général Omar Souleimane, désigné vice-président dans l'urgence, a réaffirmé son refus d'assumer les pouvoirs du président Moubarak dont la cote est repartie à la hausse à Washington. Omar Souleimane a ainsi refusé une option qui sauvait la face de Moubarak, tout en satisfaisant en partie l'exigence du départ de Moubarak. Les frères musulmans entrent en négociation Un responsable des Frères musulmans a expliqué que la participation au dialogue avait pour but «d'évaluer le sérieux des autorités qui concerne les revendications de la population et leur volonté d'y répondre». Il n'en reste pas moins que l'acceptation du dialogue de la part des FM, la seule vraie force d'opposition ayant un ancrage réel, constitue une brèche dans le front de l'opposition. Pour l'heure, ils semblent surtout soucieux de soigner leur image et de rassurer les adversaires en Egypte et à l'extérieur. Ils ont ainsi annoncé qu'ils n'auraient pas de candidat aux présidentielles, laissant probablement le champ libre à Mohamed El Baradeï, personnage agréé par les Américains et les Occidentaux. Le pouvoir égyptien qui tente de reprendre la main et qui refuse de se défaire de Moubarak a annoncé la mise en place, d'ici mars, d'un comité chargé de préparer les réformes constitutionnelles. Face à des opposants qui occupent en permanence la place Al-Tahrir, le pouvoir joue sur le temps et sur la lassitude. La direction du parti au pouvoir, le PND (Parti national démocratique) dont le raïs et son fils a démissionné. Le président Moubarak a organisé une rencontre avec les ministres en charge de l'Economie dans une volonté manifeste de retourner à la normalité. Message relayé, sans succès, à la place Al-Tahrir par le commandant Hassan al Roweny. Mais les banques du Caire ont rouvert dimanche traduisant ainsi un début de retour à la normalité après deux semaines de paralysie. La résistance du régime Cette résistance du régime est soutenue par les Américains qui, après un léger moment de flottement, réaffirment leur soutien à une transition, sans départ préalable de Moubarak. Hillary Clinton a exprimé son soutien aux discussions menées par Omar Souleimane en vue de former un gouvernement de transition qui doit, selon elle, permettre «la tenue dans l'ordre des élections prévues en septembre». Encore plus direct, l'émissaire d'Obama en Egypte, Franck Wisner estime qu'il faut soutenir et aider le président Moubarak à conduire la transition dans le pays. «Le président Obama souhaite que nous discutions avec respect avec une personne qui est un ami de longue date des Etats-Unis». «Le rôle du président Moubarak est toujours important. Contrairement à la Tunisie, dont le président a pris la fuite, l'Egypte a toujours son gouvernement et l'autorité de celui-ci est toujours liée à ses forces armées, ce n'est pas le chaos complet», a précisé l'émissaire américain. Le propos, qui exprime bien le fond de l'attitude américaine a été exprimé de manière si abrupte qu'on a précisé à Washington qu'il ne représente que les vues personnelles de Wisner. Personne n'en a été convaincu. Pas même l'avenant El Baradeï qui a indiqué que les propos de Wisner sont tombés «sur nous comme un coup à l'estomac». «Les Egyptiens veulent voir un nouveau régime et le départ de Moubarak serait un signe clair que nous sommes sur ce chemin», a expliqué M. El Baradei. Il semble pourtant bien que les propos de Wisner expriment clairement la position des Américains qui veulent éviter des changements brusques dans un pays de grande importance sur l'échiquier du Proche-Orient. Ils apportent clairement à la stratégie du régime qui consiste à jouer le pourrissement et à provoquer les divisions au sein des opposants. El Baradei a dit sa crainte que le mouvement de contestation devienne plus déterminé et plus violent. «Je ne voudrais pas voir cette magnifique révolution pacifique devenir sanglante».