Lors de sa rencontre avec la presse à sa sortie du bureau des membres de la commission des consultations politiques, l'ancien chef du gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, avait estimé que changer de constitution et réformer pour réformer, ce n'est pas ce dont l'Algérie a besoin, si le pouvoir d'Etat ne cesse pas de violer les lois et les droits collectifs et individuels reconnus. D'autres invités de la commission, à sa suite, ont fait écho au point de vue de Ghozali, notamment Farouk Ksentini, président de la commission officielle chargée des droits de l'homme, Miloud Brahimi, lui aussi ancien président de la Ligue des droits de l'homme, et Noureddine Boukrouh, ex-chef du PRA et ex-ministre du Commerce. Mais si ce dernier s'est contenté de plaider «qu'il est temps que l'Algérie évolue vers une étape où l'Etat sera réellement pérenne quel qu'en soit le dirigeant» et que les dirigeants «doivent changer de comportement», les deux autres ont franchement émis la proposition de confier à l'armée le rôle de gardien et de garant de la Constitution. Proposition que pourtant Khaled Nezzar, considéré à tort ou à raison par certains milieux comme exprimant la position et les points de vue de l'institution militaire, n'a pas fait figurer dans la liste de celles remises à la commission des consultations. Pour des analystes, la sortie convergente des deux avocats sur ce point est à décrypter comme exprimant ce que l'armée voudrait qu'il soit porté dans la Constitution révisée. Sauf que c'est une personnalité politique, Ahmed Ouyahia en l'occurrence, considéré à tort ou à raison très proche des militaires, qui a répliqué aux deux hommes en estimant «que nous n'avons pas besoin des chars pour défendre nos libertés». Il y a lieu incontestablement de réfléchir à un dispositif qui empêchera le viol de la Constitution. Pas en tout cas celui préconisé par les deux avocats, et Ahmed Ouyahia a encore raison d'avoir déclaré que «c'est aux politiques de prendre leurs responsabilités pour défendre la Constitution». Il y a quelque chose de «pourri» dans le «camp des démocrates» quand, de façon récurrente, certaines de ses figures en appellent à l'intervention de l'armée dans le champ politique. Avec un contexte national, régional et international dans lequel les démocrates algériens peuvent espérer faire aboutir le projet de société pour lequel ils disent se battre, il est renversant de voir certains d'entre eux s'accrocher à l'utopie d'une armée garante de la Constitution et de la démocratie. L'on s'attendait au contraire qu'ils émettent la proposition que soit franchement énoncé dans la prochaine loi fondamentale que l'institution militaire doit être éloignée sans ambiguïté du champ politique. Que ce soit Ahmed Ouyahia qui fait valoir que la proposition défendue par des «démocrates» est antinomique avec la démocratie est proprement surréaliste. En fait, les appels récurrents à des interventions de l'armée démontrent tout simplement l'ampleur de l'impuissance du camp démocrate à peser sur les rapports de force dans le pays. A l'heure où les peuples arabes, et le nôtre en premier, se battent pour que leur soient restituées la parole et la souveraineté, plaider pour la constitutionnalisation d'une tutelle de l'armée sur la chose politique, c'est en fait avouer que l'on veut s'en tenir au statu quo qui a conduit le pays aux abîmes.