Grandeur et misère d'une solution par défaut : aujourd'hui, certains en appellent à l'armée comme garante des réformes promises. C'est le propre des pays décolonisés par le maquis : ils ne peuvent plus s'en passer et ne voient la possibilité d'un consensus que sous le parrainage d'un tuteur en uniforme. L'armée est appelée non à défendre le pays mais à défendre le pays contre lui-même en quelque sorte. Une idée tellement enracinée que la sortie de Nezzar et son audience par la commission « Errissala » de Bensalah a été perçue, analysée, vécue comme un murmure de la grande muette dans le carnaval des grands bavards. On y a lu le souci de faire barrage à l'islamisme mystique de la Présidence, au régionalisme rampant et un rappel des janviéristes pour sauver le pays d'une seconde menace : celle du chaos alimentaire, après le chaos islamiste. Nezzar, depuis longtemps habitué à sa retraite amusée, a dû bien rire de cette naïveté collective et de ces analyses messianiques qui retrouvent du prophète là où elles peuvent. Lui qui n'y croyait plus, se retrouve salué comme un démocrate, un sauveur et un arbitre alors qu'il n'est qu'un pensionnaire. Ah! la triste réalité : on croit ce pays sans Etat et c'est pire : il est sans imagination. Dans le désordre du poker, on donne l'impression de fouiller avec une grosse main dans un vieux sac de scrabble pour trouver des noms de présidentiables et des solutions de sursis. On est remonté jusqu'à 90 pour le moment. Le dessinateur Dilem a eu d'ailleurs l'idée géniale de dessiner une commission qui va en appeler à l'Emir Abdelkader, Bouaamama, le Dey Hussein en cas de vacance ou de Val de Grâce ou même à Massinissa pour remplacer Aït Ahmed qui ne veut pas venir embrasser la main. Faut-il s'en étonner ? Non. Une culture politique de refus du réel fait qu'il est rationnel chez nous de convoquer les morts, mais pas les futurs nés, ni les présents. Pourquoi l'armée comme garante ? Pourquoi pas des élus, des institutions, une constitution ou une classe politique ? Parce que c'est une idée nationale d'infantilisation du pays face à son armée, un héritage de la guerre de libération et une intoxication collective : « Sans nous, vous vous mangerez ». C'est ce qu'aurait dit De Gaulle dans un accès d'hyper-lucidité et c'est ce que dit la culture politique du pays. L'affirmation indirecte est que ce peuple est sauvage, ses élites sont infantiles, l'armée gardienne de l'Algérien contre lui-même. C'est ce qu'il faut comprendre quand on voit l'espace médiatique consacré à la sortie d'un ex-Général dans la presse même celle dite démocrate. En psychanalyse, il s'agit d'un symptôme où la personne de Nezzar n'est qu'un détail. C'est dire que chez nous, même les démocrates sont conservateurs et croient plus en un garde communal armé qu'en un intellectuel engagé. Pour comprendre l'évolution de cette névrose, il faut s'imaginer, pour ceux qui connaissent l'histoire du premier viol de ce pays, une sorte de GPRA (Gouvernement provisoire sachant que tous les gouvernements sont provisoires depuis 50 ans) qui demande à l'armée de surveiller le Pouvoir et un Ferhat Abbas pupille des « Services », habitué des rencontres autour d'un café. Cela vous donne des journaux qui saluent un Nezzar démocrate et une opinion d'élite qui pense que seule l'armée peut garantir des réformes. Les petits enfants de ce viol connaissant parfaitement le Père. Et le reconnaissent quand il revient après ses fausses absences.