Entre rire ou ricanement, le président syrien Bachar Al-Assad, tout en admettant que la Syrie se trouve à un «tournant», n'a pas, une fois de plus, trouvé les mots justes qui apaisent et ouvrent une perspective. Il a semblé, hier, d'une terrible légèreté alors que le contexte est d'une extrême gravité. C'est un troisième discours de crise où Bachar Al-Assad montre qu'il n'a pas entendu ces voix, excédées et impatientes, qui montent du pays. Et surtout, il est resté enfermé dans la logomachie, inutile même dans le cas où cela est vrai, du complot ourdi de l'extérieur. Et bien entendu, il fait un distinguo faussement subtil entre les «saboteurs», ceux qui sont recherchés ou «demandés» par la justice et les demandeurs de réformes. La répression, elle, se moque de ces subtilités et frappe indistinctement. Même des enfants. Quand la catégorie de ceux qui sont «demandés» par la justice atteint le chiffre de 64.000 personnes, cela fait du monde. Trop de monde pour que le régime puisse avoir raison. Et on peut aisément comprendre qu'ils n'aient pas envie en ces temps durs d'aller tester l'indépendance de la justice syrienne. Il y a dans ce troisième discours de Bachar Al-Assad la même arrogance qui s'offusque de l'outrecuidance de ces Syriens qui le contestent, lui et son régime. Le président syrien prétend que l'histoire permettra de dévoiler les éléments du «complot» contre son pays. Peut-être que oui. Mais l'histoire enregistre déjà que ce sont bien les agissements répressifs qui ont poussé les Syriens d'une demande modeste de réformes et d'ouverture à une exigence de changement total. L'histoire retiendra que trois mois de répression auront ruiné le crédit que les Syriens accordaient au régime de préserver la sécurité et de défendre une politique extérieure patriotique. Désormais, le régime et ses appareils sont vus par une grande partie de la population comme une source d'insécurité. Les complots existent. Ils ne sont pas les facteurs les plus déterminants dans l'histoire. Le mal du régime syrien est dans sa perception ultra-policière de la société. La première manifestation ne visait pas à exiger le départ de Bachar Al-Assad, ni à contester le Baath. C'est une simple protestation contre la brutalité policière. Ce qui était une exigence banale a été perçu, du fait de la structure policière du régime, comme une contestation politique intolérable. A Deraa, le régime a décidé d'apporter sa riposte politico-policière et a mis le pays dans le cycle de la répression-contestation. Manifestement, les choses sont allées trop loin. Les Syriens ne peuvent plus accepter, comme les convie Bachar Al-Assad, un dialogue dont la finalité est de perpétuer le régime. C'est bien le changement de régime qui est désormais posé. Bachar Al-Assad ne l'a pas compris ou n'a pas voulu comprendre. C'est l'aveuglement qui est en train de paver le terrain à l'intervention étrangère. Ankara a d'ailleurs envoyé un signal: il ne reste pas beaucoup de temps avant le début d'une intervention étrangère. Bachar Al-Assad ne devrait pas vraiment compter sur la Russie dont le président Medvedev a annoncé qu'il opposera un veto à toute résolution du Conseil de sécurité au sujet de la Syrie. Moscou a déjà montré dans le passé - y compris récemment pour la Libye - une grande sensibilité aux demandes des Occidentaux. C'est une simple question d'appréciation des gains. Quand les gains à escompter commanderont de lâcher Bachar Al-Assad, la Russie le fera. Le problème est que le président syrien ne semble pas en mesure de saisir que le pays, ses enfants, ses femmes et ses hommes sont plus importants que son régime. Il fait preuve d'une folle légèreté.