Vu hier à la télé : un stade absolument vide, gazon vert malade, deux équipes s'affrontant pour un match mou et peu convaincant. En arrière-plan sonore, la voix d'un commentateur qui semblait lire un formulaire ou une notice. En quoi est-ce surréaliste ? Il s'agissait du championnat de foot syrien qui se poursuit dans la planète Bachar. Le régime ayant pris la décision d'organiser les matchs à huis clos, diffusables sur TV mais avec interdiction des foules. Etant donné que tous les Syriens sont des terroristes sauf la famille d'El-Assad et de Makhlouf, El-Assad a bien saisi le danger de rassembler des milliers de personnes pour un match qu'il est en train de perdre. Le spectacle a fasciné le chroniqueur: contre vents et marées, un régime de dictateur continue de jouer le jeu de sa fiction et de faire semblant comme si rien n'était sous le nez du monde entier. Ce culte de la fiction est, d'ailleurs, le trait saillant de toutes les dictatures quand on y songe. Les régimes durs aiment se fabriquer un délire cohérent, surréaliste mais logique pour s'y enfermer. En déréalisant le réel, on déshumanise l'adversaire et on le tue plus facilement. Mais ce culte de la fiction n'est pas seulement dans la violence. Il est aussi dans l'économie, la propagande, les médias, les additions nationales. En Algérie, l'université algérienne vient d'être classée, encore une fois, parmi les dernières au monde. Cela n'empêche pas Bouteflika d'en inaugurer la présente année sous un déluge d'applaudissements et avec les salamalecs grotesques d'une salle convoquée. Les villes algériennes sont sales et invivables selon un classement mondial ? N'empêche : l'ENTV continue de parler d'Oran El-Bahia, d'Alger El-Bahdja, de la « ville des roses » et d'autres villes affabulées de faux bijoux en toc et de surnoms arabisés de force. Le pays va mal et est aux bords cycliques des émeutes ? Cela n'empêche pas l'ENTV de parler d'Injazates nord- coréennes et de vanter les Islahates « qui ébahissent le reste du monde ». Plus personne, et pas même les ministres en privé, ne fait confiance aux chiffres algériens, les statistiques algériennes et les bilans algériens. Pas même leurs rédacteurs. A la fin, le seul qu'on veut tromper et qui se laisse tromper avec complaisance semble être la présidence. Et pourtant, du chiffre, l'Algérie officielle en produit, dans le délire, la surenchère, la fraude et l'effet boule de neige. Le but et de fabriquer un pays qui masque le pays et parle et sourit et applaudit à sa place. Certains ont compris que Bouteflika veut une fiction réparatrice de 79 et ils le lui offrent, jusqu'à l'excès. Dans tous les cas, les régimes mentent et finissent par se mentir à eux-mêmes jusqu'à s'étonner, avec de grands yeux, le jour de la chute. Le chroniqueur se rappelle du témoignage filmé de cette vieille tunisienne de Sidi Bouzid, maîtresse d'un élevage de cinq poules pondeuses et que Benali a convoquée, après l'immolation de Bouazizi, pour lui demander pourquoi elle se plaint de la pauvreté alors que, selon les rapports qu'il avait sous les yeux, elle possédait cinq vaches ? On aura compris, facilement, l'effet domino menteur : les cinq poules, de commissaire à maire et de maire à préfet et de préfet à ministre, sont devenues cinq vaches. C'est la même mécanique qui prévaut chez les régimes peu démocrates et dont les chefs s'étonnent de l'ingratitude du peuple, de sa cupidité, de ses mensonges. On comprend mieux cette persistance à parler de complot international, de main étrangère, etc. Le régime découvre que le peuple, qu'on lui ramène par bus lors des meetings, n'est pas le même qu'il voit scandant « dégage ». Reste que les régimes tiennent à leurs fictions même au prix de violences inhumaines. Il s'agit de leur dernière âme, de la réaction du système alimentaire. Reste que l'effet néfaste des propagandes est qu'en effet elles se retournent, toujours, contre leurs auteurs et finissent par les intoxiquer et les tuer. Le Régime d'El-Assad peut vider les stades mais ne peut pas vider le pays.