M. Farouk Ksentini fait de la politique et selon lui l'Algérie a pris le virage définitif de la démocratie mais il préconise de créer une obligation de voter. Sur le virage démocratique de l'Algérie, l'avocat exprime une appréciation de satisfaction que les militants des droits de l'homme en Algérie ne partagent pas. Mais ils ne lui contestent pas le droit d'avoir ses propres idées sur la question. Son opinion est bien partagée par Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem et par les officiels en général. On peut penser que la démocratie défendue par M. Ksentini manque d'ambition, il peut estimer à son tour que les sceptiques demandent «trop» alors que les choses avancent et que l'Algérie a atteint une «étape décisive». Le problème de M. Ksentini est qu'il ne peut s'empêcher de constater, comme de nombreux observateurs le font, un réel scepticisme au sein de la population au sujet de la viabilité des élections. Un scepticisme qui est aussi l'expression d'une opinion assez répandue sur l'état d'avancement de la démocratie en Algérie. Des partis d'opposition ont bien accepté de participer aux élections avec l'idée d'essayer de redonner vie à la politique en Algérie. Ils ne partagent cependant pas l'appréciation presque idyllique que fait maître Ksentini de la situation politique en Algérie. Ces opposants sont dans une perspective de pédagogie militante. Ils ne souhaitent pas l'abstention puisqu'ils participent, mais face à ce problème ils ne sont pas dans l'admonestation à l'égard des Algériens. Car être sceptique, douter, hésiter et en définitive choisir de ne pas aller voter, fait aussi partie des choix possibles. Il est donc exclu de culpabiliser les Algériens qui ne vont pas aux urnes. Pour les militants des droits de l'homme et les militants politiques, rendre le vote obligatoire consiste à effacer par la contrainte l'expression d'un scepticisme ou d'un rejet. Aussi considèrent-ils que l'appel à rendre obligatoire le vote et à sanctionner les abstentionnistes est exorbitant. Cela fait partie des mauvais arguments pour inciter les gens à voter. Il ne manque pas de bons arguments pour le vote, même quand on est très critique à l'égard de l'état d'avancement de la démocratie On peut invoquer à cet effet un argumentaire politique fondé sur une appréciation de la situation du pays, de son contexte géopolitique, des risques cela peut se faire aussi par un appel à partager un dessein Il s'agit en tout état de cause de convaincre, pas de contraindre. Instituer une obligation de voter ne fabrique pas du civisme et ne donne pas de la crédibilité aux institutions. Certes, le vote obligatoire existe dans certains pays démocratiques, mais ce sont des exceptions à la règle générale de la liberté de choisir. Cette proposition d'instituer le vote obligatoire et de sanctionner est d'autant plus mal venue qu'elle rappelle les pressions diffuses sous le régime du parti unique où les gens étaient obligés de voter de crainte d'avoir des difficultés à obtenir des documents administratifs. Ce serait une régression par rapport aux petits progrès réalisés dans ce domaine. Pour M. Ksentini, ne pas voter est un «comportement négatif». C'est un jugement moral et politique dangereux alors qu'il s'agit tout simplement de reconnaître, quitte à ce que cela nous déplaise, le droit de ne pas voter. Un droit que l'on doit réaffirmer. Tout comme face à la religiosité ambiante, nous devons demeurer intransigeants sur le fait que la liberté de conscience et de penser est absolue et non contestable. Nous ne cessons de rappeler la règle qu'il n'y a «pas de contrainte en religion», il n'y a aucune raison de créer une «contrainte en vote». Obliger les gens à le faire, c'est aussi les contraindre à penser d'une seule manière. Et c'est inacceptable.