Deux thèmes ont été longuement traités lors de la première journée du séminaire «Repenser l'Université» qu'a organisé la faculté des Sciences Sociales de l'Université Es Senia d'Oran. Il s'agit du système LMD, en vigueur depuis quelques années et de la première réforme universitaire de 1971. Bien évidemment, d'autres questions se sont greffées à ces deux thèmes. Par ailleurs, d'autres intervenants ont volontairement déserté ce débat pour proposer, soit des lectures comparatives, soit un cadre théorique d'appréhension de l'université en tant qu'objet. C'est le cas de Mohamed Bahloul, pour le dernier point et d'Abderrahmane Moussaoui. Quant à GHALAMALLAH Mohamed, venu de l'université d'Alger, il a traité et le LMD et la réforme de 1971 en périodisant en décennies la trajectoire de l'Université algérienne. Il avancera une hypothèse méritant attention : pour lui «l'institution universitaire a subi une perpétuelle déstabilisation» Et d'expliquer que l'université héritée de la période coloniale, considérée comme «université des coopérants» devait céder sa place à une université répondant à des orientations de la nouvelle Algérie. «C'est l'université de la décennie 70-80 issue de la réforme qui porte communément le nom de Seddik Ben Yahia» dira-t-il. Cependant, l'institution du système de contrôle modulaire et l'organisation des études en semestres, au lieu de l'année, ne durera qu'une décennie. Ce qui fera dire à notre conférencier que la décennie 80-90 est celle de la contre-réforme. «Un autre cas de déstabilisation de cette institution» qui s'ajoutera à la combinaison de deux facteurs aux conséquences lourdes : la démographie galopante de la population estudiantine d'un côté à une algérianisation de l'encadrement trop hâtive. Les résultats des choix des politiques ont débouché à une situation de l'université algérienne peu enviable : selon un classement établi par l'UNESCO, sur un total de 138 pays, l'institution universitaire occupe la 43ème place en termes de quantité (c'est-à-dire le nombre d'étudiants et d'enseignants) et la 117ème place en termes de qualité, souligne notre conférencier. Sur le plan de la production scientifique, l'université marocaine garantit le double de la production de l'algérienne et la tunisienne cinq fois. En chiffres, ca donne 38,5 publications pour un million d'habitants alors que la moyenne mondiale est de 147,8 pour un million d'habitants. Il terminera son intervention en signalant que l'université refuse de s'étudier. «Dans ce cas comment peut-elle prétendre à produire de la connaissance sur les autres institutions ?» s'interroge-t-il. Concernant le LMD, dans sa tentative de «Bilan de la réforme LMD» Ghaouti Ahmed, de l'Université Auvergne-Clermont 1, a avancé quelques constats. Il rappellera en premier lieu que l'adoption du système LMD par l'Algérie correspond au rôle d'intermédiaire entre l'Afrique sub-saharienne et l'Europe qui lui a été assignée. Parmi les autres objectifs, il citera ; la mise à niveau des normes européennes et la réponse à la massification. Cependant, il constatera qu'au niveau du bilan, que ce système a eu un impact limité sur les étudiants et que les données sur ce sujet sont encore très limitées. Aussi, il estimera que le système classique manifeste toujours de la résistance et que de grandes disparités ont été relevées entre différentes institutions universités en fonction de leur situation géographique. Lors des débats autour de cette question du LMD, plus d'un intervenant a rappelé que ce système européen a été conçu comme stratégie de réponse de vieux continent se sentant menacé dans ses intérêts économiques par l'ogre américain et les dragons asiatiques. Autrement dit, totalement étranger aux préoccupations de l'Algérie et les autres pays maghrébins qui y ont adhéré. Plus concrètement, on s'est posé des questions très concrètes se rapportant aux principes mêmes du LMD : serions concurrentiels et à quelle échéance ? Quid de la mobilité (des étudiants et des enseignants) érigée en principe par ce système ? Rouadjia, de l'université de Msila ira jusqu'à affirmer que même le concept du LMD n'est pas très bien saisi. Noureddine Abdelkader, maître de conférences à l'USTO, qualifiera le LMD de véritable choc pour la communauté universitaire. Se situant sur un autre terrain, Mohamed Bahloul exigera le choix d'un «cadre conceptuel» comme préalable à l'analyse de tout objet, y compris l'université. Son idée force est que l'Etat moderne s'est démembré en tant qu'organisation en plusieurs organisations. Ce qui n'est pas le cas dans les pays du Sud, dont l'Algérie où l'Etat reste l'unique acteur. Autrement dit, l'Etat en Algérie ne tolère pas l'existence autonome d'autres organisations (syndicats, partis politiques et université). La nationalisation de l'université, conçue exactement comme la nationalisation de l'entreprise, répond à cette volonté de contrôle social, tonnera-t-il. Malheureusement «la nationalisation est en pleine crise» ajoutera-t-il. Ce qui a débouché sur «l'échec de l'émergence de l'acteur culturel national». Revenant à l'histoire, il plaidera pour «une université du 3ème âge». Totalement épanouie du contrôle exercé par le pouvoir religieux (cas de l'université du premier âge) et totalement autonome de la dépendance vis-à-vis du politique (cas de l'université du second âge). Pour lui cette université doit être en phase avec l'entreprise, créatrice de richesses. Cependant, pour échapper à l'éventuel diktat de l'entreprise, il parlera d'un préalable «la synergie entre experts-entrepreneurs et régulateurs». Nous supposons que parmi ces derniers, il range les partis politiques et les organisations de la société civile. Abderrahmane Moussaoui s'étalera sur les critères de sélection et d'efficience auxquels sont soumis les enseignants et même les étudiants prétendant à l'enseignement en France. Auparavant, il constatera que l'université algérienne demeure encore «endogamique» dans le sens où «elle est un espace de fabrication du national» au lieu d'être «un lieu de circulation du savoir». Dans ce sens, il s'interrogera sur «ce refus» des étudiants et même des chercheurs algériens de s'intéresser aux expériences des autres pays, aussi bien africains qu'européens. Abondant dans ce sens, il déplorera le peu de cas accordé par exemple aux autres religions monothéistes par les chercheurs, qui relèvent d'une sorte enfermement dans le local. Pour dépasser ce cloisonnement, il invite à une sérieuse réflexion sur «les cadres sociaux de la connaissance». Lors des débats, Moussaoui a eu à intervenir à plusieurs reprises, des fois pour rectifier des perceptions touchant à son territoire de savoir. Par exemple, la Géographie est la science par excellence impliquée avec l'entreprise de la colonisation. Pourtant, cette discipline n'a jamais été interdite de cité dans l'université algérienne. Preuve de l'incohérence du discours nationaliste ou nationalitaire.