Les tics des dictatures et des régimes autoritaires prennent toujours le dessus sur les comédies censées les rendre présentables. Le nec plus ultra dans ce jeu-là consiste à conserver les choses en l'état pour les nationaux et se faire reconnaître grand démocrate à l'extérieur. Le roi du Maroc n'a pas eu beaucoup d'efforts à faire en direction de la France pour se faire octroyer le label de «réformateur» juste parce qu'il a déplacé un mot dans la Constitution et remplacé d'autres par des synonymes. Les habitudes marocaines de la classe politique et médiatique française facilitent grandement les choses. Et il ne faut pas chercher très loin les raisons qui font que le sort du journaliste Ali Anouzla est traité sous l'angle du minimum syndical alors que c'est une vraie victime de l'arbitraire. Un journaliste libre et agaçant dont le Palais et le Makhzen voulaient la tête. A tout prix. Et qu'ils croient avoir trouvé en déclenchant contre lui l'arsenal absurde de la loi antiterroriste, uniquement pour avoir mis un lien vers un journal espagnol diffusant une vidéo d'Aqmi vitupérant la corruption au Maroc. L'accusation d'apologie du terrorisme contre Anouzla est une absurdité que seuls les politiciens du Makhzen répètent comme des perroquets. Le traitement de la vidéo ne fait pas d'Ali Anouzla un partisan d'Aqmi. C'est une accusation grossière qu'on a trouvée pour s'attaquer à un journaliste qui exerce «pleinement» son métier, n'hésite pas à poser les questions embarrassantes et à mettre en opposition réalité et propagande. Si le roi Mohammed VI a, pour des raisons connues, l'assurance d'une complaisance française, cela n'est pas le cas ailleurs. Le Maroc dépense beaucoup d'argent en lobbying aux Etats-Unis pour se donner une bonne image et défendre ses vues sur le Sahara Occidental. Un article du New York Times, daté de mars 2011, indiquait que Rabat a dépensé plus de 3 millions de dollars à des lobbyistes de Washington contre 600.000 dollars par l'Algérie. L'effort financier a été probablement plus conséquent par la suite pour vendre dans le contexte des contestations politiques du monde arabe l'image d'un roi «éclairé» qui prend les «devants» et engage son pays dans les réformes. Le produit était bien «vendu» : changement de Constitution, élections législatives et «alternance» avec l'arrivée d'un parti islamiste à la tête du gouvernement. Ceux qui, au Maroc, relevaient que la monarchie vendait du vent avaient de la peine à faire comprendre que le système autoritaire est resté intact et que les réformes dans les «textes» ne sont pas des réformes dans les faits. Mais le travail de lobbying a été efficace Jusqu'à ce que les «tics» de la dictature reprennent le dessus et effacent le laborieux blanchiment des lobbyistes. Le traitement réservé à Anouzla commence à intéresser les médias américains et ils posent des questions sur le sujet au porte-parole du département d'Etat. Hier, c'est le Washington Post qui a consacré un éditorial sur le sujet en relevant que le «modèle potentiel» que constituerait la monarchie marocaine selon des «admirateurs occidentaux» n'est plus de mise. En raison du traitement inique réservé à Ali Anouzla qui est puni, écrit le grand journal américain, «pour son travail critique et courageux sur le roi Mohammed VI». Les millions de dollars dépensés en lobbying ne peuvent rien cacher. Libérer Anouzla est le mieux qui reste à faire pour le Maroc car son maintien en détention ne fait que révéler les tics maladifs de l'autoritarisme.