La Turquie et le Pakistan, deux puissances musulmanes sunnites, ont approuvé l'intervention militaire au Yémen de la coalition conduite par l'Arabie saoudite pour empêcher la milice houtie, chiite, d'étendre son pouvoir sur l'ensemble du pays. Mais ni l'une ni l'autre n'ont pris part aux opérations des frappes aériennes que la coalition mène contre cette milice. Officiellement sollicitées par l'Arabie saoudite pour lui fournir une assistance militaire en prévision d'une intervention terrestre, les autorités pakistanaises pourtant redevables à Ryadh de substantiels subsides financiers se sont dérobées derrière l'obligation de l'obtention du feu vert à une telle assistance que leur Parlement devrait voter. Le Parlement pakistanais a non seulement préconisé à son gouvernement le refus d'une assistance militaire pakistanaise à l'opération terrestre qu'envisagent les « stratèges » saoudiens, mais a émis la considération que la crise et le conflit yéménite se règlent par la voie de la solution politique négociée. C'est la même préconisation que prône Ankara depuis que le président turc a effectué une visite d'Etat en Iran que l'Arabie saoudite accuse de soutenir la milice chiite houtie. Ni Ankara ni Islamabad ne voient de dimension religieuse au conflit yéménite comme le soutient la monarchie wahhabite qui clame qu'il est la résultante de l'offensive de l'arc chiite contre le camp sunnite du monde islamique. Le Pakistan et la Turquie ne sont pas pour ignorer que la monarchie des Al Saoud considère depuis sa fondation le Yémen comme son « pré carré » et à ce titre disposer à son égard du droit d'ingérence quand ses gouvernants s'avisent de suivre des politiques ou de nouer des alliances qui distendent l'allégeance que le Royaume estime légitime à son endroit. Une constante de l'attitude saoudienne à l'égard du Yémen qui, répétons-le, ne doit rien à une prétendue motivation d'ordre religieux. Ces « chiites » yéménites que Ryadh combat aujourd'hui, elle les a soutenus pendant des décennies et qui plus est à un moment en totale connivence avec le régime iranien de l'époque du Chah qui pourtant, comble de l'aversion pour les wahhabites, tenait lui aussi pour le chiisme en tant que religion d'Etat. Ce même régime iranien aspirait à l'époque à faire de l'Iran la principale puissance régionale sans que son ambition effraye alors la dynastie saoudienne. Ce que celle-ci considère aujourd'hui comme une ambition mortelle pour elle car portée par un régime iranien « belliciste et expansionniste » qui a succédé à celui du Chah, sauf que, et l'histoire le démontre, ce régime iranien a été « préventivement » agressé à l'instigation entre autres de l'Arabie saoudite par l'Irak sous Saddam Hussein. A ce moment-là, comme maintenant, la posture anti-iranienne de la monarchie wahhabite a découlé de l'application d'un agenda dont les objectifs ont été arrêtés et planifiés par Washington qui en a fixé une partie de la mise en œuvre au royaume saoudien. Il n'est pas évident que cet agenda soit celui qu'approuveraient la Turquie et le Pakistan qui aspirent à jouer au Moyen-Orient une autre partition que celle qui est écrite pour l'Arabie saoudite.