L 'intervention d'une coalition de dix pays arabes au Yémen était une mise en route, avant l'heure, d'une force militaire panarabe. Un coup d'essai quasi réussi, puisque les chefs d'Etat arabes, réunis depuis hier à la station balnéaire de Charm El Cheikh (Egypte), ont, pour ainsi dire, à l'unisson appuyé la proposition inspirée par le président égyptien fortement soutenue par Riyad. Aujourd'hui, un projet de résolution devrait être adopté par les chefs d'Etat préalablement approuvé par les ministres arabes des Affaires étrangères, jeudi, lors de la réunion de préparation du sommet. L'argument plaidant en faveur de la mise en place d'une force arabe commune était celui de la «menace terroriste», les Houthis du Yémen inclus. La mouture indique que cette force, regroupant des troupes des Etats membres, sera chargée de mener «des interventions militaires rapides pour parer aux menaces sécuritaires pesant» sur les pays arabes. L'Algérie, qui adhère à l'esprit de la résolution, nuance tout de même sa participation à la nouvelle force commune arabe. «La résolution laisse la liberté aux pays membres d'adhérer ou non. Au regard de notre Constitution et notre doctrine de défense, l'Algérie ne pourra pas envoyé ses troupes en dehors de son territoire, cependant nous apportons notre contribution en matière de soutien logistique, de financement et de formation», a déclaré M. Lamamra en marge du sommet. Ainsi, à la question palestinienne, qui traditionnellement domine les travaux des sommets arabes, a succédé celle de la «question sécuritaire», déplaçant de fait le terrain d'affrontement dans la région proche et moyenne orientale. Le sommet arabe semble consacrer l'amorce d'un nouvel affrontement géopolitique régional opposant les monarchies du Golfe à l'Iran. Si, en effet, la montée en puissance des groupes djihadistes constitue une menace sérieuse pour la région, il n'en demeure pas moins qu'à la lumière des interventions des chefs d'Etat influents au sein de la Ligue arabe c'est d'un autre ennemi qu'il s'agit. L'Iran est tout désigné comme étant la menace immédiate pour les monarchies du Golfe, les wahhabites en particulier. L'intervention militaire au Yémen se poursuit pour anéantir les Houtis à l'assaut du pouvoir à Sanaa. Cette coalition d'armées arabes soutenue par le Pakistan s'apparente plus à une expédition dirigée contre l'Iran chiite, sur lequel pèsent des soupçons de soutenir militairement et politiquement la rébellion d'obédience chiite. Le discours du jeune émir de Qatar, Tamim Ben Hammad, qui a résumé ce qui se déroule au Yémen comme «une atteinte au processus de transition démocratique menée par des éléments du Hezbollah avec la complicité de l'ex-président déchu, Ali Abdallah Saleh», trahit l'arrière-pensée qui prévaut au sommet de Charm El Cheikh. Le nouveau roi de la monarchie wahhabite, Salman Ben Abdelaziz, a été, lui, encore plus clair dans son intervention, en désignant son ennemi éternel, l'Iran, comme la vraie menace pour toute la région. «Les milices houthis sont soutenues par des forces régionales dont l'objectif est d'asseoir son hégémonie sur le Yémen et en faire une base d'influence sur toute la région», a accusé le monarque saoudien. Riyad, à la tête de la coalition militaire qui a mobilisé 150 000 hommes, craint l'arrivée au pouvoir à Sanaa d'un régime pro-iranien. La nouvelle guerre sur la terre de «l'Arabie heureuse» traduit l'ampleur de la lutte d'influence sur fond de clivage sunnite-chiite. Téhéran, qui arbore la reconstitution de «l'empire perse» avec comme zone d'influence des pays comme la Syrie, le Liban, l'Irak, le Yémen et dans une certaine mesure le Bahreïn, apparaît comme une percée géostratégique dans la sphère arabe. Cette hégémonie inquiète les monarchies wahhabites, d'autant que l'Iran négocie actuellement, à Lausanne, avec les puissances occidentales, son programme nucléaire. Des négociations que la famille régnante en Arabie Saoudite, tout comme le gouvernement de Benjamin Netanyahu s'emploient à torpiller. Riyad soupçonne Washington de vouloir «aider» Téhéran à sortir de son isolement en parvenant à un accord. «Après presque douze ans de négociations avec l'Iran, le dénouement commence», a déclaré, hier, le chef de la diplomatie allemande, Frank Walter Steinmeier. L'aboutissement à un accord final sur le nucléaire iranien n'arrangerait sans doute pas les calculs de l'Arabie Saoudite et ses alliés visant à réduire l'influence grandissante de l'Iran dans la région.