La responsabilité de l'Europe dans les drames qui ont lieu, régulièrement, en mer méditerranée est indéniable : les conséquences de l'anéantissement de l'Etat libyen sont encore loin d'être contenues. Réaction immédiate de l'Union européenne (UE) après l'épouvantable drame survenu dimanche dernier en mer méditerranée : deux réunions ministérielles, celles des ministres de l'Intérieur et celle des ministres des Affaires étrangères dès lundi au Luxembourg, suivies d'un Sommet des chefs d'Etats et de gouvernements en fin de semaine à Bruxelles. But : trouver, vite, les moyens pour mettre un terme au trafic organisé de l'immigration clandestine en Méditerranée, particulièrement celui en provenance des côtes libyennes, qui fait des milliers de morts chaque année. Question : comment vont faire les Européens pour détruire le trafic de l'immigration clandestine tout en élevant plus haut la forteresse Europe et en durcissant les conditions de l'immigration légale, y compris celle des visas touristiques ? C'est un vrai dilemme dans lequel sont enfermés les dirigeants européens depuis plus de vingt- ans. Déjà en 2004, l'UE s'était engagée à travers le «Programme de La Haye» pour une gestion du phénomène migratoire sous tous ses aspects : politique d'immigration légale avec les pays tiers, lutte contre les réseaux clandestins, coopération avec les pays d'origine et de transit, révision de la politique d'asile etc. Plus de dix ans plus tard, force est de constater que la question migratoire s'est aggravée, complexifiée, dramatisée et a bousculé tous les calculs des stratèges et spécialistes européens. Les conclusions du programme de La Haye de 2004 contenait, en lui-même, l'absurde approche de la migration sous le seul aspect du chiffre : «D'une manière générale, la migration de la main-d'œuvre peut contribuer à la fois à compenser les effets du changement démographique dans l'UE et à satisfaire les besoin sur le marché du travail» (point 11). Puis, immédiatement après, point 12 : «Les raison qui poussent les ressortissants de pays tiers à recourir à l'immigration clandestine sont si vastes et complexes qu'il serait utopique de croire que les flux d'immigration clandestine peuvent être définitivement stoppés», avant d'ajouter : «L'opinion publique qui a tendance à imputer la cause de certains problèmes sociaux à l'immigration clandestine, doit également être prise en considération». Voilà résumé le dilemme dans lequel s'est enfermée l'UE : comment satisfaire le besoin et déficit démographique de l'UE par l'apport migratoire sans durcir les conditions de l'immigration et surtout en tenant compte de «l'opinion publique» qui accuse les immigrés de tous les maux sociaux. Vue sous cette approche, l'Europe donne l'impression qu'elle est la première destination des flux migratoires dans le monde et qu'elle en accueille plus que tous les autres pays du monde. Pourtant les chiffres de l'UE comme ceux de l'ONU montrent tout le contraire : 100.000 réfugiés accueillis aux USA en moyenne chaque année, presque autant au Canada contre quelque 5 à 6.000 réfugiés pour toute l'UE ! Quant aux chiffres de l'immigration légale, l'écart est considérable. L'UE estime par ailleurs qu'elle aura un solde démographique négatif de l'ordre de 52 millions à l'orée de l'an 2050. C'est-à-dire qu'il lui faut plus de 1 millions d'immigrés par an pour maintenir son équilibre démographique, la courbe de sa croissance économique et celui de ses comptes sociaux. Alors la question nous revient à la face : pourquoi l'Europe érige-t-elle de plus en plus de barrières contre l'immigration et dans le même temps compte sur cette même immigration pour sauver son équilibre démographique déjà chancelant ? C'est que l'immigration est devenue un sujet central, sinon le sujet par excellence, de la compétition politique entre partis politiques en Europe. A chaque rendez-vous électoral, et il y en a en permanence, la surenchère entre partis politiques participe à la radicalisation de l'opinion publique à laquelle on fait croire que tous les problèmes de la société ont pour origine l'immigré, l'étranger. C'est pourquoi, il ne faut pas s'attendre à des décisions «exceptionnelles» ou «révolutionnaires» tant des réunions ministérielles que celles des chefs d'Etats de l'Europe pour résoudre les drames qui se jouent en Méditerranée. Des décisions genre renforcement de l'Agence Frontex, en charge de la surveillance des frontières maritimes, ou de coopération avec les pays du sud méditerranéen ne changeront pas les raisons qui favorisent l'immigration clandestine, ni l'équation géopolitique qui se construit, depuis 2011, en Méditerranée. Dans ce sens, est-il besoin de rappeler que le principe «d'externalisation» du traitement de la question migratoire contenu dans la politique migratoire de l'UE depuis 2005-2006 a été détruit par l'UE ? Ce principe faisait participer les pays du Sud-Méditerranée à la gestion des flux migratoire subsahariens et auquel ont adhéré des pays comme la Mauritanie, le Maroc et surtout la Libye ne signifie plus rien aujourd'hui. L'Europe a fait la guerre à la Libye et l'a transformée en immense chaos, terrain fertile pour tous les trafics et les crimes. Sans doute est-ce pour cela que les dirigeants européens ont laissé entendre qu'il est impossible de stopper les drames en Méditerranée sans une stabilisation politique de la Libye. Ils appellent à appuyer l'initiative de paix en cours entre les deux parties politiques libyennes. C'est la moindre des choses : que les Européens assument leur responsabilité dans le chaos qu'ils ont semé en Libye.