Décidément, le Premier ministre grec Tsipras a franchi avec audace le cap de la confrontation avec l'UE. Armé de la victoire du «Non» à plus de 61% au référendum du 4 juillet dernier, il s'affirme désormais comme un redoutable adversaire face à l'UE. Quant à Bruxelles, elle n'a eu que des sueurs froides alors que la place de Syntagma à Athènes a célébré avec des transports de joie la fin de ce que d'aucuns avaient déjà considéré comme l'humiliation du peuple grec par la troïka (UE, BCE, FMI). En effet, ce référendum voulu par Syriza et Tsipras dès le 27 juin a été de l'avis de tous les analystes un pavé dans la mare d'autant qu'il a mis toute l'Europe au pied du mur. Si Merkel et Hollande se disent a posteriori respectueux du choix des Grecs, il ne lésineront sans doute sur aucun moyen afin d'assouplir les positions des autorités grecques et les amener à rectifier le tir selon leur bon vouloir. Autrement dit, mettre en œuvre le plan de réformes tel qu'ils le préconisent. D'ailleurs, les leaders des grandes puissances européennes s'en veulent d'être trop laxistes envers leur voisin grec, car c'est la faillite des mécanismes de contrôle de la Commission européenne sur les avoirs de la Grèce, les fausses données que celle-ci lui aurait livrées sur ses comptes et ses creux fiscaux cachés qui a été en partie à l'origine des dysfonctionnements d'aujourd'hui. Ajoutons à cela qu'en quelque sorte la Grèce est redevable à l'UE des sacrifices fournis depuis longtemps par la Commission européenne pour remettre sur les rails sa machine économique en détresse. En revanche, la cure d'austérité appliquée par la zone euro et le FMI depuis 2010, c'est-à-dire, lors de l'annonce du premier plan de sauvetage de 110 milliards d'euros accordés au gouvernement de Georges Papandréou dont le pays croule à l'époque sous une dette de 350 milliards d'euros, a été d'une extrême brutalité pour les ménages modestes. Sans résultat palpable, Athènes, qui affrontait alors un énorme brasier social, s'est résignée au long cours à son triste sort de débitrice. Ainsi, au début de février 2012, elle a adopté malgré elle un second plan de rigueur au titre d'un nouveau prêt de 130 milliards d'euros. Et cela en dépit des violentes manifestations des classes défavorisées et de l'opposition. Contrairement à l'Irlande, le Portugal, et l'Espagne qui ont pu supporter l'effet de politiques économiques restrictives de l'UE, la rue grecque, elle, en a vu des vertes et des pas mûres. Le coût à payer à la troïka dépasse en fait les capacités dérisoires de l'économie grecque, le marché du travail recule, les perspectives d'issue à la crise se font de plus en plus rares et la pression des créanciers augmente crescendo et de toutes parts. En arrivant au pouvoir en janvier dernier, Syriza s'est efforcé de changer la donne. D'abord, il a serré les vis dans ses pourparlers avec l'UE et a promis en substitution de l'ordonnance de Merkel un programme anti-austérité ! N'hésitant pas à l'occasion et sur le ton de la provocation par le biais du ministre des Finances Yanis Varoufakis, aujourd'hui démissionnaire, de demander à l'Allemagne des dédommagements matériels sur les dégâts qu'aurait provoqué le nazisme hitlérien sur ses terres lors de la Seconde Guerre mondiale ! Tout cela n'est qu'un fantasme au regard de la BCE, un saut dans l'inconnu pour les observateurs, et une lueur d'espoir pour de larges pans de la population frappés par la misère et le chômage. Mais à quel prix ? Ayant hérité d'une situation économique pour le moins que l'on puisse dire catastrophique, Tsipras est en outre aux commandes d'un pays «financièrement» insolvable. Mais que faire quand on n'a rien sur quoi compter ? Que des jeux de manœuvres sans doute. En homme de consensus, il s'est allié dès le départ avec les Grecs Indépendants, un mouvement xénophobe antisémite, et Aube Dorée, un parti du national-populisme, sans oublier, bien sûr, le soutien dont il bénéficie de la part des petits partis pro-européens. Sachant qu'en Grèce, la différence idéologique dans certains points, surtout en ce qui concerne l'Europe entre l'extrême gauche et l'extrême droite est à peine perceptible. Cinq mois plus tard, les choses se compliquent davantage et le défi de la croissance prôné tel un cheval de Troie à la conquête de la citadelle européenne semble hors de portée. L'Europe ne lâche pas du lest et Tsipras est plus que jamais déterminé d'en finir avec l'hégémonie de la BCE. Equation aux variables indéterminées sur laquelle ce dernier référendum remet une chape supplémentaire de doute. Où va la Grèce ? Où va l'Europe ? Serait-il le grand début du démembrement de cette entité économique qu'est l'Union européenne et qui fait concurrence aux Etats-Unis, à l'instar de ce qui s'est passé à l'URSS au commencement des années 1990 ? A vrai dire, ce serait trop tôt de pouvoir répondre à un tel questionnement. Mais ce score signifie-t-il le triomphe de la démocratie ou n'est-il qu'une simple esquive de la responsabilité du «feed-back» des politiques impopulaires que pourrait engager la Syriza en cas de sa soumission aux consignes de ses bailleurs de fonds ? Autrement dit, une échappatoire populiste. Et puis, Tsipras, qui aurait exhorté ses compatriotes à voter massivement «Non» lors de l'allocution télévisée du 1 juillet dernier, aurait-il espéré par-là un tel résultat pour infléchir les positions de l'UE lors de ses négociations ou tout bonnement pour se donner des arguments convaincants en faveur de la sortie de la Grèce de la zone euro, objectif initial larvé de sa politique ? Si cette dernière perspective se précise à l'horizon, la Grèce sera économiquement trop fragile et elle n'imprimera plus d'euros, sauf s'il est question bien sûr de reconnaissance de dettes. Les prémices de cette faiblesse se font déjà sentir dès l'annonce de la fermeture des banques jusqu'au 7 juillet en cours ainsi qu'un contrôle rigoureux de capitaux. Ce qui a poussé d'ailleurs les Grecs à limiter leurs retraits bancaires et leurs dépenses quotidiennes tandis que les grandes surfaces et les magasins se vident rapidement par peur de pénurie. Et enfin, la question qui taraude encore les esprits après ce rebondissement inédit dans l'actualité européenne est la suivante: comment peut-on revenir à la table des négociations et se permettre, si les circonstances l'exigeront, de casser le verdict du peuple qui a opposé une fin de non-recevoir aux réformes de la troïka et au plan préconisé par les leaders européens ? Tout au plus, l'Europe en tant que conscience morale et temple des libertés serait-elle capable de fouler les valeurs démocratiques qu'elle prétend défendre pour se conformer aux choix économiques ? Si ce message de rejet conforte Tsipras et les Grecs, il met à mal l'Europe en tant qu'ensemble géostratégique et pourrait être le déclic d'un «effet domino» dont les répercussions seraient néfastes non seulement pour l'UE mais aussi pour toute la stabilité de la Méditerranée.