Il avait bien raison Fellag, l'humoriste. Au fond de la piscine, nous continuerons de creuser. Hier, on en riait, aujourd'hui, nous faisons grise mine en lisant, dans le quotidien « Le Soir d'Algérie » du 12 mai, que Maitre Farouk Ksentini allait « soumettre au président de la République un projet portant sur la nécessité de procéder à l'amnistie générale de tous les Algériens impliqués dans des affaires de corruption ». Son argument est confondant. Si des actes de terrorisme ont été amnistiés, pourquoi pas les «affaires» de corruption. Je me demande quel jury accepterait de rendre un tel jugement. En clair, tant qu'à faire, après les crimes de sang contre des innocents, aujourd'hui « pardonnés » - alors que les parents de certaines victimes n'ont pas encore fait leur deuil - autant élargir le cercle du non-droit. Maitre Farouk Ksentini n'est pas le seul dans cette logique. Le 17 mai 2016, c'est au tour de M. Abdelhakim BERRAH, président de la Commission d'organisation et de surveillance des opérations de bourses (COSOB) de monter au créneau dans une interview à « Algérie Eco ». Utilisant les mêmes éléments de langage, il déclare : « il faut aller vers une amnistie fiscale. Il faut savoir tourner la page et aller vers des solutions audacieuses. L'Etat a lancé l'emprunt national qui permet d'améliorer, grâce aux taux attractifs, la bancarisation, c'est bien, mais c'est insuffisant ». La journaliste Fatam Haouari, qui fait son travail consciencieusement, lui demande : « une amnistie fiscale, ne pose-t-elle pas un problème d'éthique ? ». Mais pas du tout, chère Madame. « A un moment ou un autre, il faut savoir tourner la page, répond-il. Certains diront que ce n'est pas juste ou que c'est amoral mais on a bien tourné la page du terrorisme ! La question que l'on doit se poser dans ce cas-là est qu'avons-nous comme alternative dans le contexte actuel ? Pour aller de l'avant, parfois on ne dispose pas beaucoup de choix. Néanmoins, à partir de l'instauration de l'amnistie fiscale, on fixe des règles plus strictes pour repartir sur de bonnes bases ». Sans doute jusqu'à la prochaine sortie de route. « Certes, confesse-t-il, la question éthique et morale se pose mais en tant que financiers, nous posons d'autres questions autour de la façon de récupérer l'argent pour financer l'économie. Est-ce que c'est mieux de laisser des fonds dormants en Algérie ou à l'Etranger ou au contraire les attirer pour les injecter dans des projets qui profitent à l'économie. Maintenant, s'il ya des preuves de malversations, c'est une autre paire de manches. Toujours est-il qu'il faut faire face à ces problèmes et oser des décisions qui peuvent fâcher sur le moment mais qui s'avéreront salutaires par la suite ». Il reprend son souffle au bout de cette tirade, pour ajouter, un ton en dessous : « C'est vrai qu'on peut y voir une injustice mais la cohésion, le consensus sont à ce prix. En outre le moment est propice avec la lutte mondiale coordonnée contre la corruption, la fuite des capitaux, l'optimisation fiscale , etc. C'est le moment de prendre des mesures et de faire un bon démarrage qui tient compte de nos moyens économiques. Il faut savoir tourner la page et regarder vers l'avenir ». Le sien. Le leur, en somme. Mais dans quel pays vivons-nous ? Un avocat, président, de surcroit, du Conseil national des droits de l'homme, « organisme créé sur décision présidentielle », note le journaliste, et le président de la Commission d'organisation et de surveillance des opérations de bourses (COSOB) qui profèrent de telles insanités sans réaction du pouvoir, voilà qui surprend. Il y a une semaine, on pouvait encore penser qu'il ne s'agissait que d'un « ballon d'essai » pour tester l'opinion publique, les partis politiques. Aujourd'hui, il faut comprendre que l'avocat aura bien l'outrecuidance, comme il l'a annoncé, de préparer un dossier pour défendre cette déshonorante cause. Qu'il remettra bien à la présidence de la République son dossier pour « étude », « évaluation » et « décision » qui lui est de toute évidence soufflée. Dans quel pays vivons-nous quand il nous faut débourser des dizaines de milliards de dollars pour une autoroute bancale, avant de se raviser et décider - comme l'annonçait mardi 10 mai, à Oran, le ministre des Travaux publics, M. Abdelkader Ouali -de recourir, tous comptes faits, aux entreprises algériennes ? Quand un ancien ministre, M. Chakib Khelil visite des Zaouias sans être inquiété ? Quand le gouvernement et le Premier ministre concèdent, par leurs actes et déclarations, qu'ils vivaient dans le déni de la crise mondiale, prenant la suite de la déclaration du président de la République pour entonner le chœur du « oui, nous vivons une crise » ? Mais dans quel pays vivons-nous ? Si le meurtre a été amnistié hier, comme le serait, demain, le détournement de fonds, la mauvaise gestion des biens publics, quelles seraient les valeurs qui nous resteraient pour vivre ensemble et croire en ce pays ? Est-il permis de laisser dire tout cela impunément ? Sans réaction des responsables ? Chercherait-on, délibérément, à provoquer la rue ? Mais dans quel pays vivons-nous ? Toutes choses égales par ailleurs, en termes de destruction du tissu social, tissu économique, destruction d'un peuple, sur le long terme, il n'est de comparaisons que la Syrie, la Libye ou l'Irak, écrasés sous les bombes. Même les pays dont on raille les systèmes politiques archaïques n'ont pas atteint un tel degré de volonté de démobiliser les cadres qui s'acharnent, chaque jour, à reconstruire un édifice qui tienne. Même provisoirement. En espérant des jours meilleurs. Mais dans quel asile vivons-nous ? Dans un pays sans direction. Sans responsabilité collective. Sans Etat. Sans parler d'Etat de droit qui est encore une vue de l'esprit. Quand on entame un troisième, puis un quatrième mandat, pour retourner à deux mandats uniques, Constitution à géométrie variable, quand les citoyens sont anesthésiés depuis 17 ans, leur réveil quelle que soit la sophistication de l'assistance prodiguée en salle de réanimation ce réveil-là ne leur sera pas agréable. Les séquelles risqueraient bien d'être irréversibles.