L'avocat doit être reçu aujourd'hui par le président en vue de lui remettre un rapport explosif et, par tous, attendu. Joint hier par téléphone, Me Farouk Ksentini, président de la commission ad hoc en charge du dossier des disparus, nous a confirmé qu'il devra remettre son rapport final aujourd'hui-même au président de la République. « Nous avons terminé notre travail, le rapport est finalisé, mais pour des raisons évidentes d'éthique, il nous est impossible d'en révéler le contenu avant que le président de la République n'en prenne connaissance », commence tout de go par nous dire cet important acteur de la société civile, qui jouit d'une grande réputation en matière de défense des droits de l'homme. Cela n'a quand même pas empêché notre interlocuteur de nous livrer ses impressions, ses visions mais aussi les données essentielles qu'il a récoltées durant une année et demie de harassantes recherches. Les données brutes s'énumèrent comme suit: «La commission ad hoc a recensé exactement 6 146 cas de disparitions forcées». Les affaires ont été pratiquement traitées au cas par cas, explique encore notre interlocuteur. C'est pour cette raison que Me Farouk Ksentini et son équipe ont sillonné une bonne partie du territoire algérien, allant à la rencontre des familles des disparus, écoutant leurs doléances et leur soumettant un questionnaire, lui aussi sujet à moult controverses. Evitant tant que faire se peut la polémique avec les associations en charge de la défense de cette catégorie de citoyens, notre interlocuteur souligne, concernant la conclusion de son travail, que «plus de 75 % des cas signalés sont favorables à une indemnisation». Cela ne l'empêche pas de mettre en avant ses préoccupations intellectuelles et morales en indiquant qu' «il faut que la vérité soit dite aux familles». Cette nécessité est même une «priorité» à ses yeux, puisqu'il l'aurait fait figurer en très bonne place dans son rapport final. Mais, à notre demande de savoir si la recherche de la vérité signifie immanquablement justice, Farouk Ksentini refuse de s'aventurer plus loin sur un terrain relativement miné. A ses yeux, en effet, «l'essentiel est de commencer, et d'accorder aux familles concernées leur droit de savoir ce qui est arrivé à leurs proches». Ce n'est qu'une fois franchie cette étape cruciale, et pas si évidente que cela, que «les familles pourront se déterminer en toute lucidité et connaissance de cause». Là encore, M.Ksentini réitère ce qu'il nous avait déjà maintes fois déclaré: «si certaines familles se montrent déterminées à recourir à la justice, ce qui est leur droit absolu, nous sommes prêts à les accompagner». Une pareille affirmation nous pousse tout naturellement à lui demander pourquoi les associations de défense des droits des familles des disparus le critiquent autant alors qu'il semble abonder dans le même sens qu'eux. «Il est vrai, nous dit-il, que nous oeuvrons tous en faveur de la justice et de la vérité, mais là où nous bifurquons c'est que certaines associations, notamment SOS Disparus, ne veulent pas en appeler à la justice classique, préférant en quelque sorte politiser la question, ce qui est tout à fait inacceptable, notamment en cette phase cruciale et déterminante pour l'avenir de notre pays». Farouk Ksentini, en réponse à une autre question sur les charniers censés être recherchés dans les endroits où fourmillait le terrorisme durant les années 90, souligne que «les dépouilles qui y sont découvertes sont celles de victimes du terrorisme». Il ajoute, donc, que «ce ne sont pas des disparus à proprement parler». Ainsi, donc, «les 6.146 cas recensés, à en croire les familles, seraient les victimes d'agents de l'Etat». Bien entendu, il est impossible de situer la vérité avec exactitude, d'autant que les institutions consultées indiquent n'avoir rien à se reprocher. C'est pourquoi, aux yeux de Ksentini, «l'Etat est responsable mais non pas coupable, a fortiori que durant cette époque faite de troubles et de violences, le premier disparu était bel et bien l'Etat». Ksentini, malgré tout, se montre on ne peut plus optimiste à partir du moment où la balle va se retrouver dans le camp du président de la République. «Le fait que les plus hautes autorités du pays aient décidé de se pencher sérieusement et publiquement sur ce sujet est une très bonne chose. Il convient de le solutionner d'une manière ou d'une autre, car il est tout à fait exclu que nous continuions ainsi». Selon lui, «il est quasi certain que cette question figurera en bonne place dans le projet d'amnistie du président de la République». Cette mesure, obligatoirement, «devra concerner les acteurs des deux camps, car il faut absolument éviter de faire les choses à moitié». Et de marteler: «Je suis moi-même un partisan inconditionnel de l'amnistie». Cela n'exclut toutefois pas que «le dossier des disparus, comme celui de l'amnistie, nécessitent un traitement aussi bien politique et juridique qu'économique et social». Selon lui, et même s'il est concerné par l'amnistie fiscale à cause d'un inexplicable redressement, il faut absolument dissocier cette question de celle de l'amnistie fiscale. Cette commission ad hoc pour rappel, est sujette à moult polémiques. Elle avait été mise en place par le chef de l'Etat lui-même, il y a de cela une année et demie dans le but de sérier la problématique, d'écouter tous les acteurs et protagonistes et de proposer les solutions les plus appropriées à cette problématique qui n'a que trop duré.