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NOUVEAU MONDE, NOUVELLES MISERES
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 23 - 03 - 2017


Livres
Mes Indépendances. Chroniques 2010-2016. recueil de chroniques de Kamel Daoud (préface de Sid Ali Semiane). Editions Barzakh, Alger 2017, 1.000 dinars, 468 pages
183 textes choisis parmi plus de 2.000 écrits entre 2010 et 2016, dont 21 à peine parus dans d'autres organes de presse que Le Quotidien d'Oran (13 dans des sites internet d'information, 7 dans l'hebdomadaire français Le Point et 1 dans le quotidien américain The New York Times). Le premier et grand amour de l'écrivain... devenu, peu à peu, au fil des productions quotidiennes, d'abord un chroniqueur de génie, puis un nouvelliste de talent et, enfin, un écrivain consacré.
183 textes allant du plus long au plus court en passant par le moyen, mais tous chargés de signification(s). Une chronique, malgré son écriture originale - bien décrite par le préfacier, lui aussi, grand chroniqueur ayant «sévi» avec génie dans la presse des années 90 - allie la critique, le commentaire, l'humour, la dérision et est liée, presque toujours, à l'actualité, en tout cas à l'actualité la plus parlante au lecteur, tout particulièrement lorsqu'elle est quotidienne.
De plus, une chronique est assez liée à la qualité du support et de ses lecteurs. Ainsi, Le Quotidien d'Oran (et les journaux étrangers cités) ont des «clients» qui «pensent» beaucoup plus qu'ils ne «pansent» (avec tout le respect dû aux lecteurs des autres titres). D'où, une démarche qui informe certes, qui ratisse large certes, mais qui a pour objectif assumé d'éveiller et de réveiller, sans tomber dans l'article (ou le billet) polémique qui, lui, «descend en flammes» sans se soucier des dégâts. «Faire prendre conscience» chez la première, «dénoncer» chez le second.
Donc, 183 textes écrits par un «diagnosticien du présent» (une formule empruntée à Michel Foucault), qui, en plus de ses qualités de journaliste chercheur d'infos (nationales et internationales, culturelles, cultuelles, historiques, sportives, linguistiques, sociales, politiques, économiques...), a un sens aiguisé de la formule, celle qui frappe juste, même lorsqu'elle paraît irrespectueuse... et ne cesse d'«inventer», grâce à sa maîtrise de la langue, des phrases toujours chargées de sens.
Et, ce qui ne gâte rien, de temps en temps, bien que rarement, il nous offre quelques pépites sur ses «états d'âme». Ainsi, le texte paru le lundi 28 novembre 2011 (L'Autre, p 132), une sorte de confession intime. Mal de vivre ? Mal d'aimer (ou de ne pas l'être assez) ? Ainsi, le texte paru le dimanche 24 novembre 2013 (Le long du Sud: Les gens du Nord venus, p 254), un véritable chant d'amour pour une grande région du pays qui a toujours su accueillir (et retenir bien souvent) les gens du Nord. Poète ou/et âme sensible aussi, le Daoud ! Un homme qui reste encore à découvrir.
L'auteur: Kamel Daoud, né en 1970, est un enfant de Mostaganem vivant à Oran. Journaliste au Quotidien d'Oran durant de très longues années, il est auteur, déjà, d'un recueil de nouvelles, La préface du nègre (2008), ayant reçu le fameux prix Mohammed Dib... et un roman éclatant, Meursault, contre-enquête qui a reçu de nombreux prix (Escales littéraires d'Alger en 2014, et en France, le Goncourt du premier roman, en 2015...), le consacrant internationalement en tant qu'écrivain et en tant que journaliste-chroniqueur.
Extraits: «J'ai accompli ce métier (de journaliste-choniqueur) comme on accomplit parfois la prière, mais tournée vers les miens et ma terre» (p 18), «Durant les années 90, la chronique algérienne était jubilation face à la mort et l'ennui mais servait aussi de célébration... Les chroniqueurs algériens étaient célèbres, enviés, usés, insupportables et grandiloquents. Un peu les surréalistes du coin, haltérophiles de l'absurde national» (p 15), «La chronique est (donc) un art majeur en Algérie, signant le retour féroce du journalisme d'opinion, un exercice de style et de sens, de trébuchements, d'accidents de langue et d'interrogations insistantes. Que j'ai voulu partager». (p 20)
Avis : Encore d'autres prix en perspective ! Des chroniques de presse quotidiennes certes mais qui, mises bout à bout, sont un vrai essai philosophique comme on en a rarement vu dans notre pays. A ne rater sous aucun prétexte. Mais, attention, à déguster lentement ! Par ceux qui aiment... comme par ceux qui détestent - ou ne l'aiment pas trop -K. Daoud.
Citations (elles sont innombrables et nous n'avons pris que celles récoltées au niveau des textes de présentation !): «Un pays qui échoue craint la réussite. La réussite est suspecte. Surtout quand elle est homologuée ailleurs» (Sid Ali Semiane, préface, p 10), «L'espace de la chronique est petit, il faut y développer la concentration du penalty. Le roman étant le match et ses 90 minutes, avec la foule bruyante. La chronique est un produit dérivé du souffle suspendu, ou coupé» (p 17)... Il y en a tout de même une que je ne peux éviter de reprendre: «La liberté a un prix, sinon la vie est gratuite». (p 97)
Bétonvilles contre bidonvilles. Cent ans de bidonvilles à Alger.
Essai de Rachid Sidi Boumedine (préface de Jim House et postface (trois superbes articles) de Mustapha Benfodil, lui aussi, écrivain percutant). Apic Editions, Alger 2016, 1.000 dinars, 314 pages.
Bidonville ! Un mot fourre-tout qui, au fil du temps, a pris une connotation si péjorative... que les «solutions» proposées ou mises en œuvre ont, pour la plupart, échoué. Certains ont tenté d'«éradiquer», d'autres d'«assainir»... A chacun son traitement.
Ainsi, on a eu certains de nos décideurs qui avaient obligé les habitants des «bidonvilles» à «rejoindre» (de force) leur douar d'origine ! Les terrains alors libérés de leurs «habitat(ion)s précaires» ont été très vite récupérés pour voir surgir des villas et immeubles de luxe de la (nouvelle) nomenklatura de l'époque.
Ainsi, on a eu d'autres qui ont laissé faire, pour des raisons politiques et sociales (pour la plupart opportunistes et démagogiques), laissant ainsi s'installer tout un commerce informel du logement sans oublier tous les maux et fléaux sociaux.
Ainsi, on a eu, à partir des années 2000, la lutte contre les habitats précaires; et, la bidonvilisation des villes s'est accompagnée d'une «éradication» menée au pas de charge, accompagnée d'un vaste programme de relogement... aux résultats positifs pas toujours évidents. La question des bidonvilles (normalement relevant du Social si l'on s'en tient seulement aux thèses énoncées dans le Programme de Tripoli de juin 1962 et la Charte d'Alger de 1964) s'est trouvée restreinte à ses aspects «physiques» au sein de l'urbain. Selon l'auteur, «elle a été circonscrite aux limites administratives de la ville, et la mise en parenthèses, pour ne pas dire la négation et la stigmatisation des acteurs engagés dans la problématique du bidonville. Voilà qui a interdit la mise en évidence des enjeux et des rationalités, et a interdit par conséquence de traiter la question dans ses dimensions réelles». Une conclusion dramatique: «Le capitalisme algérien aura ainsi réussi, sous une forme non dite, à faire en sorte, avec un autre standing certes mais avec le même résultat global, à reconstituer, à une autre échelle, à la fois la ville formelle (‘à l'européenne') et une ville ‘arabe', où les habitants des bidonvilles habiteraient, encore une fois, les quartiers dévolus aux indigènes rassemblés». (p 266)
L'auteur: né en 1938, ayant grandi à Clos-Salembier (El Madania). Etudes en sciences physiques et sociologie. Expérience de gestion d'installations industrielles. S'orientant par la suite vers l'urbanisme et la sociologie urbaine. Au fameux Comedor (car il avait dessiné l'Alger du futur) dans les années 70. Durant quarante ans, il a réalisé et dirigé de nombreuses études dans le domaine de l'urbanisme, l'aménagement, la protection de l'environnement et il a dirigé plusieurs organismes publics d'études, tout en étant enseignant et chercheur. Plusieurs publications et ouvrages spécialisés (dont Yaouled ! Parcours d'un indigène, en 2012, Alger 1955, essai d'une géographie sociale, Alger 2015...).
Extraits: «Il est important de faire la distinction entre le bidonville dans sa forme physique historique, en tant que révélateur du mode de fonctionnement de mécanismes sociaux (inégalitaires), et les constructions intellectuelles ou idéologiques auxquelles il donne lieu, qui l'accompagnent et lui survivent même» (p21), «Cela est devenu courant, au lieu ‘d'éradiquer le problème', on en ‘éradique la manifestation', à savoir les conséquences physiques les plus apparentees. Ceci explique aussi souvent pourquoi le bidonville se renouvelle dans ses formes ou ses localisations et ne disparaît pas, à ce jour» (p 66), «Comme souvent, en système clientéliste, le ‘Maire' protège le bidonville ou le groupement ‘d'habitat illicite' et sa communauté, et qui, à son tour, est susceptible de servir de réservoir électoral ou de fournisseur de ‘gros bras' dans les situations de ‘redressements' partisans, modes d'éviction des adversaires politiques, devenus courants tant au niveau national que local». (p 217)
Avis : chargés de l'aménagement du territoire et de l' éradication des «bidonvilles» et de l'«habitat précaire», urbanistes et walis... de tout le pays, lisez-le ! Le wali Zoukh n'en a pas besoin, mais ses chefs de daïra (qui ont accueilli les «relogés» des bidonvilles et des habitats précaires), si !
Citations: «Ce n'est seulement que lors du rasage du bidonville que les pouvoirs publics encouragent sa médiatisation» (Jim House, préface, p 10), «Focaliser sur la baraque est une manière de détourner le regard du processus de la misère en action ou de son maintien». (p 36)
Les Dix nouveaux commandements de Wall Street. Essai de Ammar Belhimer. Anep Editions, Alger 2017, 800 dinars, 403 pages.
Un livre qui démarre fort, très fort même. Presque brutalement mais clairement... avec une condamnation sans équivoque du néolibéralisme. Pour, d'emblée, convaincre le lecteur, l'auteur a, dans un avant-propos, ouvert son gros travail de recherche et de réflexion, d'abord avec un propos du pape François, qui, en son temps, avait fait beaucoup de bruit: «Au cœur du monde, il y a le dieu Argent. C'est là qu'est le premier terrorisme». Ensuite, il nous présente les dix (nouveaux) commandements économiques et financiers. Les siens, bien sûr. Apocalypse peut-être ?
Il les conforte par un brève description du modèle («l'intégrisme néolibéral») en reprenant J. E. Stigliz (prix Nobel d'économie 2001): mixture de thatchérisme, de «reaganomique» et de «consensus de Washington» favorables aux privatisations, à la libéralisation économique et à des banques centrales indépendantes préoccupées uniquement par l'inflation, éventuellement la stabilité des prix, mais hors de toute considération de croissance. L'expression «Consensus de Washington» a été utilisée la première fois en 1989. Elle recouvre la feuille de route de l'ordre néoconservateur triomphant et conquérant depuis l'arrivée de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher aux commandes. Et, il achève le tout avec Manuella Cadelli, une magistrate belge, qui assimile carrément le néolibéralisme au... fascisme... qui «doit être combattu afin de rétablir un humanisme total».
Neuf chapitres au total aux titres très accrocheurs et évocateurs et aux sous-chapitres truffés d'informations et de références: le fil conducteur/Domination et dépendances/Les nouveaux vecteurs de la puissance/Adieu liberté et démocratie... place à la violence/Inégalités et injustices/Au-delà des subprimes/Nouvelles missions pour l'Etat/Les voies de la résistance/Ce que nous réserve l'avenir... avec ce que ce qui nous attend en 2015. Il est ainsi envisagé, par les futurologues et les experts (américains, avec un rapport du NIC tiré du site internet de la CIA...), que «l'émergence de nouveaux dragons économiques pourrait survenir là où les populations jeunes vont commencer à travailler... cet avantage est jugé possible dans les pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie) qui augurent les meilleures prerspectives d'avenir». Ouf ! L'apocalypse n'aura donc pas lieu. Grâce à qui ?
Par ailleurs, «le rapprochement de notre pays - et des trois Etats du Maghreb - avec l'UE est plus que vraisemblable, en raison du début de la transition démographique, de la culture bilingue (français et arabe) ainsi qu'occidentaliste des élites, et du très grand affaiblissement du socialisme autoritaire algérien au profit des forces laïques de l'armée et de la société civile...».
Plus une bibliographie fournie.
L'auteur: docteur en droit, actuellement professeur à la faculté de droit de l'université d'Alger 1 et à l'Ecole nationale supérieure de sciences politiques d'Alger/Ben Aknoun, A. Belhimmer a été, dans une autre vie, journaliste et il signe actuellement au Soir d'Algérie une chronique hebdomadaire. Auteur déjà de deux autres ouvrages, l'un sur La dette extérieure de l'Algérie et le second sur Les Printemps du désert.
Extraits: «La justice étant surtaxée, les victimes d'injustice doivent être riches pour obtenir réparation» (Manuela Cadelli, p 8), «L'économie - monde capitaliste prend la forme d'un iceberg. La partie visible - la ‘valeur lumineuse' - est prise en charge par une immense structure sous-jacente qui est hors de vue... Le terme ‘valeur sombre' est inspiré par la reconnaissance par les physiciens que la matière ordinaire et l'énergie représentent seulement 5% de l'univers connu, la ‘matière noire' et ‘l'énergie noire' forment le reste». (p 30)
Avis : ouvrage de qualité (avec une couverture et une mise en pages réussies... mais prix public non affiché, de haut niveau universitaire, très documenté, mais (trop ?) résolument engagé.
Citation: «Faire assumer la régulation aux appareils actuels de l'Etat capitaliste, c'est confier la garde d'une crèche ou d'une école à un pédophile». (p 14)


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