C'est le parfait casse-tête politico-économique du moment: comment réformer le système actuel des subventions de l'Etat, et donc faire de sévères coupes dans le budget social de l'Etat, sans déroger à la sacro-sainte paix sociale ? C'est en quelque sorte le grand exercice de funambule que doit mener Ahmed Ouyahia pour ne pas s'aliéner l'opinion publique, à moins de deux mois des élections locales et deux ans avant l'élection présidentielle. Certes, l'homme tout comme le politique n'a jamais caché sa préférence pour revoir ce système de protection sociale, ni son aversion pour les «pique-assiettes» qui profitent de la générosité et des largesses de l'Etat. A la fin des années 2000, alors Premier ministre, il avait clairement pointé du doigt certains industriels de l'agroalimentaire qui exportaient leurs produits finis dérivés de produits céréaliers à la base importés et subventionnés par l'Etat. Il est clair qu'Ahmed Ouyahia veut une réforme urgente mais ciblée de ce système de subventions de produits alimentaires largement utilisés dans l'industrie agroalimentaire. Ce qui représente, pour lui, une manière comme une autre de détournement des aides publiques aux couches défavorisées, dont les céréales, qui reviennent en moyenne annuelle à l'Etat à près de 4 milliards de dollars en importations. Pour l'heure, si le gouvernement actuel n'a pas encore montré quelle voie il compte emprunter pour cette réforme des subventions, inéluctable à en croire les spécialistes dans le secteur énergétique, les deux précédents avaient donné une idée de leur stratégie. Si le gouvernement Sellal voulait mettre au point une sorte de carte d'achat pour certains produits dont les carburants pour lutter également contre le gaspillage, son successeur, le gouvernement Tebboune, voulait lui ne pas se jeter à l'eau avant une consultation populaire sur le sujet. Car ce dossier est sensible, non seulement pour la garantie de la paix sociale, des équilibres politiques, même s'il est ruineux sur le plan économique, mais surtout pour limiter les effets financiers dévastateurs de la baisse de la valeur de la monnaie nationale et les fortes pressions inflationnistes. Au final, le gouvernement ira vers des réformes des subventions, mais par étapes, ciblant d'abord des secteurs importants, comme la consommation énergétique, politiquement acceptables car concernant tous les consommateurs et pas seulement les couches sociales défavorisées. Les gains d'une baisse de la consommation induite par une révision à la hausse des tarifs d'électricité sont estimés à plusieurs milliards de dollars. Le ciblage des subventions de produits fortement demandés par l'industrie agroalimentaire et la contrebande sera par contre délicat, difficile. Un exercice périlleux en réalité pour le gouvernement. Et même si des voix officielles s'élèvent pour une révision à la hausse des tarifs de certains produits sensibles, comme les carburants et l'électricité, rien ne dit que le gouvernement va manifester une célérité pour passer à l'acte immédiatement. Ahmed Ouyahia plus que ses adversaires politiques sait qu'il s'agit d'un chantier très délicat, sulfureux et qu'il vaut mieux gérer plutôt politiquement que sur le plan social et économique. Augmenter les prix de la farine progressivement pour que la baguette de pain soit vendue à un peu plus de 10 DA est dangereux, tout autant que d'aller vers des réformes globales, rapides et tous azimuts d'un des postes les plus explosifs de la politique sociale du pays: la subvention du pain. Ouyahia, dans la perspective des prochains rendez-vous électoraux, en particulier la présidentielle de 2019, préfère atteindre cette échéance sans trop de casse sociale. Sans trop changer l'ordre des choses d'ici là.