« Ce n'est pas aux hommes du pouvoir d'écrire les règles du pouvoir » Etienne CHOUARD Ainsi parle l'œuf, je suis le pouvoir, si vous me serez trop fort, je me casse, si vous ne me serrez pas suffisamment, je tombe et je me casse. Ce proverbe africain pose un redoutable dilemme aux détenteurs de pouvoir. Ils ne doivent ni serrer trop fort, ni trop peu, car dans les deux cas le pouvoir leur échappe. En occident, le pouvoir créateur de la mort a laissé la place au pouvoir organisateur de la vie. Dans les sociétés dominées, le pouvoir demeure créateur de la mort et par conséquent despotique. Le monde arabe, c'est d'abord l'espace des grandes convulsions politiques et sociales. Le discours nationaliste et moderniste des dictatures est le lieu d'un grave malentendu. Cette volonté d'occuper la place du colon et de l'imiter dans son comportement n'implique-t-elle pas une subordination par rapport à lui ? L'intransigeance de la puissance coloniale n'a-t-elle pas produit le FLN ? Cette même rigidité reprise par le FLN n'a-t-elle pas donné naissance au FIS ? Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l'œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. La faiblesse et le caractère artificiel des Etats-Nations du monde arabe n'assurent-ils pas leurs mises en orbite des intérêts des grandes puissances ? On accorde à l'Etat une toute puissance bien imaginaire. Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est l'accroissement du « déficit de rationalité de l'Etat ». Il est admis que le mouvement nationaliste a commis deux graves erreurs aux conséquences incalculables : la première c'était de croire que l'aliénation historique, économique et culturelle disparaissait automatiquement avec le départ de l'occupant étranger ; la seconde était de penser qu'il suffisait d'accaparer l'appareil de l'Etat, de promulguer des lois et des règlements, de se doter d'une armée pour maîtriser .le processus de modernité, de développement et de l'émancipation .Comme si les clés de la modernisation étaient entre les mains des détenteurs du pouvoir, c'est-à-dire de la force brutale qu'elle soit locale ou étrangère, « la faiblesse de la force est de ne croire qu'à la force » écrivait Paul Valérie au siècle dernier.. En effet, il y a des gens qui croient que pour dresser les animaux et les dominer, il faut user des armes et de la force physique. C'est une erreur grotesque. C'était là une méthode employée par les barbares. Les procédés modernes de dressage sont tout autres. Aujourd'hui, c'est au pouvoir de l'affection qu'on recourt : on commence par s'efforcer d'obtenir la confiance des animaux en usant de bienveillance à leurs égards et c'est cette bienveillance qui agit sur eux. On appelle animaux domestiques, ceux qui se font servir par leurs maîtres.Un peuple émotif secrète naturellement un pouvoir narcissique c'est à dire un pouvoir égocentriste dépourvu de tout sentiment de culpabilité. Pour combler son vide existentiel, il a besoin de se nourrir des émotions et des peurs de la population.Il est vrai que l'histoire ne peut se faire que par une alternance de sagesse et de brutalité puisque de toute façon, les régimes déclinants résistent à la critique verbale. Le pouvoir compris comme un contrôle plus accru des hommes et des consciences par une sorte de bureaucratisation et d'asservissement des individus et de la société ne s'est accompagné d'aucune efficacité réelle sur la technologie, du savoir, de la science, du progrès technique et spirituel. C'est pourquoi, la société semble évoluer dans des directions inattendues, opprimantes et désespérées qui accentuent quotidiennement l'impression générale d'irresponsabilité, de passivité et d'impuissance. Un proverbe dit « ce n'est pas la girouette qui change de direction, mais c'est le vent qui tourne ». C'est la fin des tabous : le mythe nationaliste n'opère plus, ses « héros » ont disparu, vieilli, ou sont fatigués. Vieillesse, quand tu nous tiens ! Le cerveau ordonne au corps de se mouvoir et le corps lui répond : « va te faire foutre ! ». L'ère des dinosaures est belle et bien révolue. Le pouvoir actuel est en panne sèche de crédibilité à travers tous ses compartiments et à tous les niveaux de la hiérarchie.Sur le plan économique, le naufrage est consommé. Un failli peut-il gérer sa propre faillite en faisant croire à ses créanciers (la population) qu'il est solvable ? Un pouvoir qui ne tolère pas qu'on l'avertisse de ses erreurs est un pouvoir faible. Un pouvoir qui n'écoute pas d'autre voix que la sienne épuise très vite son leadership. «L'avenir les tourmente et le passé les retient : voilà pourquoi le présent leur échappe»dirait G. FLAUBERT. Une opposition qui «mange avec le loup et pleure avec le berger » est une opposition de paillettes, factice et inutile. Des partis dits d'opposition sans adhésion populaire qui vivent plus des subventions du pouvoir que des cotisations de leurs adhérents. « L'appât immodéré de l'argent, comme celui du pouvoir a un prix : la dignité ». Quand on rentre dans le système, on ne peut s'en sortir que rouillés pour ne pas dire souillés. Les hommes sont pour le pouvoir ce qu'est la nourriture pour le corps humain « ça rentre propre et ça sort sale. Comment ose-t-on prétendre « mordre la main » qui vous nourrit et qui vous protège ? Prétendre réformer le système extra muros alors qu'on n'a pas pu le faire intramuros ? Tel un adolescent, une société ne peut grandir que si elle s'oppose ; l'empêcher de s'opposer ne peut que l'infantiliser à tout jamais. Seule une opposition libre, jeune, nouvelle, propre, crédible et authentique rend un pouvoir plus résistant, plus avisé et plus performant. Peut-il en être ainsi quand le pouvoir est assis sur un puits de pétrole et l'opposition assise sur un pieu en béton ? Ce pouvoir, « eau de jouvence », des régimes arabes moribonds, thérapie semble-t-il « infaillible » à toutes les maladies nées du vieillissement naturel des hommes. Un régime autoritaire n'a que deux moyens à sa disposition pour se maintenir en place: la répression (le bâton) et la corruption (la carotte). C'est un pouvoir à deux vitesses. Le levier de commande étant le cours du brut. Dans une cité, on entre dans une classe sociale pour des intérêts qu'on recherche ou qu'on défend ; par contre on naît dans une famille, un clan ou une région. La compétence a cédé la place à la médiocrité. « Le dernier de nos ânes vaut mieux que le premier de vos chevaux » fait des ravages dans les administrations et dans les entreprises publiques. Par conséquent, l'esprit de clan est leur raison de vivre ou de mourir. Cela remonte loin dans l'histoire. Au crépuscule de leur vie, les dirigeants arabes s'accrochent au pouvoir comme si le pouvoir s'identifiait à la vie. A la fleur de l'âge, les jeunes aspirent au pouvoir comme un moyen de parvenir à l'âge adulte. Pour s'affirmer, ils veulent plier l'adulte, le père, l'autorité. Tel un adolescent, la société a besoin de s'opposer pour grandir, lui refuser ce droit, c'est l'empêcher de s'épanouir, c'est la maintenir indéfiniment dans l'infantilisme. En matière d'émancipation des peuples que nous enseigne l'Occident, notre maître à penser, notre confident, notre source d'inspiration ? Il nous apprend qu'en démocratie « ce sont les pieds qui attachent les mains » ; et que par contre dans une dictature « ce sont les mains qui attachent les pieds ». La démocratie ne s'octroie pas, elle s'arrache, elle commence tôt. Il s'agit de concevoir et de mettre en œuvre un système d'enseignement fondé sur le raisonnement critique et le discernement pour en faire des citoyens et non centré sur l'obéissance et la discipline pour produire des soldats en grande quantité et en faire de la chair à canons.*Pour passer d'une rive mal ensoleillée à une rive bien ensoleillée, il faut payer le prix à l'avance. Il est clair que les élites au pouvoir ne renonceront jamais de leur propre gré à la distribution de la rente pétrolière et gazière sans en rendre compte de sa gestion dans le temps et dans l'espace. Ce sont ceux qui souffrent du système qui doivent y mettre fin et pour cela ils ne doivent compter que sur eux-mêmes. Ceux qui profitent les largesses du système feront tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir le statu quo. Il ne s'agit pas de convictions mais d'intérêts. « L'eau du fleuve ne retourne jamais à sa source ». Les réformes envisagées où seule l'Algérie officielle, celle des octogénaires (les rentiers du système qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition), a la parole et l'Algérie profonde, celles des moins de trente ans majoritaires, (en activité ou en chômage) restée sans voix (les laisser pour compte), consistent-elles pour le pouvoir à « s'attacher « soi-même les mains» tout en maintenant fermement les pieds liés ou visent-elles à libérer les pieds tout en veillant à garder les « mains libres » ? Exercice acrobatique périlleux pour des vieux acteurs rigides (pouvoir et opposition), sans filet de protection cette fois ci, devant un public jeune, vacciné et incrédule sous un chapiteau ouvert virtuellement aux quatre coins du monde. Et le cirque continue avec le même spectacle à l'affiche. Les mains ne servent à rien sans les pieds qui les soutiennent ou les condamnent. D'un autre point de vue, les pieds mordent-ils la main qui les nourrit même si elle est pourrie ? Sont-ils prêts à se libérer des mains qui les oppressent ? Sont-ils capables de choisir entre le pain ou la liberté ? Entre la dignité et la servitude ?Entre le travail et la mendicité ? Pour se maintenir au pouvoir, les régimes arabes et musulmans n'hésitent pas à caresser le peuple dans le sens du poil : « dormez, dormez, dormez braves gens, l'Etat veille sur votre sommeil » leur chuchote-t-on à l'oreille à la faveur d'une manne pétrolière et gazière providentielle ou d'un tourisme international dévastateur des valeurs locales fécondes. Lorsqu'un certain type de stratégie de pouvoir s'identifie à une équipe dirigeante, il est peut être nécessaire de changer d'équipes pour parvenir à adapter le discours ; car le verbe peut servir de refuge à l'impuissance d'agir. Les réformes envisagées sont comme de l'aspirine, elles font baisser la fièvre mais elles n'ont pas la vertu de guérir un cancer généralisé qui touche toute la société avec un pronostic sombre en absence d'une thérapie adéquate menée par une équipe de médecins professionnels indépendante d'envergure internationale, d'une probité morale sans faille et d'une confiance éclairée du patient. Les réformes, en réalité, ne servent que d'habillage des « institutions », pour s'acheter une respectabilité internationale. Il n'y a pas de dictature de transition vers la démocratie. La démocratie n'est pas dans les urnes mais dans le refus de la dictature sous toutes ses formes. La démocratie ne se décrète pas, elle s'arrache. La « médiocrité » d'un peuple dit-on se mesure à son incapacité à se nourrir par ses propres efforts c'est-à-dire sans tendre la main au pouvoir qui en profite pour dépenser à sa guise les recettes d'hydrocarbures. Une nation qui ne peut pas se tenir debout sans l'Etat n'est pas encore une nation au sens civilisé du terme.Un pouvoir qui dispose sans retenue d'une manne pétrolière et gazière n'a pas besoin de lever des impôts, il n'a pas besoin de citoyens mais de sujets. Il est autonome par rapport à la population. Un peuple qui ferme les yeux sur la dilapidation de ses richesses naturelles indispensable à sa survie est incapable de progrès et encore moins de justice. C'est un peuple aveugle qu'il faut tenir par la main, à notre corps défendant,« Il a besoin qu'on l'éblouisse et non qu'on l'éclaire », Malheureusement, il n'y a pas d'autorité véritablement légitime capable de fixer un cap à la société. La puissance publique n'est plus en mesure de définir l'intérêt général préoccupée par l'équilibre des intérêts particuliers. En Algérie l'Etat n'est pas un arbitre il est partie prenante des conflits.Nous concluons ce bref article par un autre proverbe africain « Le pouvoir est comme un œuf, on ne peut le tenir d'une seule main, si on le tient d'une main, il tombe et il se casse ».Il serait de notre point de vue souhaitable que l'autre main ne soit ni armée, ni étrangère, ni gangrénée, ni une prothèse mais devra-t-être libre, propre, pacifique et apte à promouvoir, dans un projet consensuel fondateur, le développement et la démocratie. L'un ne va pas évidemment sans l'autre. « Une seule jambe ne suffit pas pour se déplacer ». Il en faut deux, une à droite et une autre à gauche. L'homme et la femme, le jeune et le vieux, le militaire et le civil, le riche et le pauvre, l'ignorant et le savant, le laïc et l'islamiste, le « vieux turban » et le « jeune turc ». Ensemble pour une Algérie nouvelle tournée vers l'avenir sans occulter son passé. « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre »disait Churchill.L'Algérie a mûrie : « le peuple est jeune, le pouvoir est vieux ». L'un veut vivre, l'autre veut survivre. La mort ne peut pas enfanter la vie. *Docteur (*) A.BOUMEZRAG ; le pétrole, président à vie de l'Algérie indépendante ; el watan du 25 février 2018