Le chef d'état-major de l'ANP demande à la classe politique de mettre rapidement en place une commission d'organisation de l'élection présidentielle et appelle «le peuple à s'allier à son armée et ne pas permettre aux conspirateurs de se faufiler dans ses rangs». Ahmed Gaïd Salah réitère son insistance à organiser une élection présidentielle même si le «hirak» exige toujours «le départ de tous les symboles du système». Le «trouhou gaa» brandi depuis exactement trois mois (22 février-22 mai) ne semble pas ébranler outre mesure le général de corps d'armée qui, lui, semble braqué sur une feuille de route «conforme» au cadre constitutionnel et à la tenue de l'élection présidentielle dans «les délais légaux». Gaïd Salah pense que c'est la seule façon de rester «légaliste» dans un contexte qui lui cherche le faux pas qui le discréditerait et ferait de lui la cible à abattre avant tout le monde. D'autant que le «hirak» a déjà exprimé son hostilité à le voir paraître comme le sauveur de la république et des voix «radicalisatrices» l'incluent au sein de «tous les symboles du système qui doivent partir». Gaïd a noté dans le discours qu'il a prononcé lundi à Djanet, dans la 4ème Région militaire où il inspectait ses troupes, qu'«un départ collectif» est dangereux pour le pays. Son choix de s'adresser à la nation à partir de régions proches de lignes frontalières en feu est en évidence pour montrer que la situation qui prévaut dans le pays n'est pas aussi simple que le pensent ceux qui veulent résoudre la crise politique en décrétant une période de transition en dehors de tout cadre légal. Il l'a précisé hier à partir de Biskra en appelant «le peuple algérien à s'allier à son armée et ne pas permettre aux conspirateurs de se faufiler dans ses rangs». Il est revenu aux «preuves concrètes et de nombreux dossiers précis, lourds et dangereux» qu'il détient à charge «du clan» et «les tentatives de déstabilisation de l'institution militaire» Le chef d'état-major évite de prononcer le mot «manipulation» qui régente le «hirak» mais tous ses propos prouvent qu'il n'en pense pas moins. Elections présidentielles, «mode d'emploi» Des observateurs le confortent en soutenant que «s'il appelle à la mise en place rapide d'une commission d'organisation des élections présidentielles, c'est parce qu'il ne veut pas se voir subir une période de transition qui ouvrirait la boîte de Pandore» Il veut faire vite dans l'organisation d'élections présidentielles qui lui permettrait, selon eux, «d'encadrer comme il se doit un pays en proie à toutes les convoitises.» La rencontre «de dialogue et de concertation» organisée le 22 avril dernier au Club des Pins par la présidence de la République lui a déjà donné les outils qui lui permettraient d'appliquer sa feuille de route sans perdre de temps. L'on rappelle que la présidence de la République avait chargé l'INESG, son Institut national d'études stratégiques globales, pour élaborer un «projet de plateforme pour la création et la mise en place concertée d'une institution nationale indépendante chargée de la préparation et de l'organisation des élections. L'urgence précisée par Gaïd Salah pour cette mise en place a été signifiée aux participants à la rencontre de laquelle il était attendu, «la définition et la validation consensuelle du dispositif juridique afférent à la création de cette institution et au démarrage de ses activités dans les plus brefs délais», comme noté par les rédacteurs du projet de plateforme. Ce sont les experts de l'INESG qui ont déterminé la nature et les missions de «l'institution». Pour eux, elle pourrait prendre la forme «d'une commission, d'une instance ou d'une autorité totalement indépendante des pouvoirs publics et autonome dans son fonctionnement.» Ses missions principales «seraient celles actuellement exercées par l'Administration publique en matière d'élections (ministère de l'Intérieur, la justice, des affaires étrangères, walis, représentations diplomatiques et consulaires)», est-il noté dans le projet. «L'institution aurait la responsabilité totale de préparer, d'organiser et de contrôler les élections et référendums. Dépositaire de toutes les missions dévolues jusque-là à l'administration publique, elle aurait donc la charge de mener toutes les opérations liées aux élections, depuis la révision des listes électorales jusqu'à la proclamation provisoire des résultats.» La commission sous toutes ses facettes L'institution aura «en particulier la responsabilité de la tenue du fichier électoral, la participation à toutes les commissions électorales, la désignation des bureaux de vote et des personnels qui en auront la charge, la gestion des opérations préparatoires au scrutin, la désignation des personnels des centres de vote, le contrôle des conditions générales de la campagne électorale et enfin, la proclamation provisoire des résultats.» Les experts proposent «trois variantes» à propos de la composition de l'institution, «un mécanisme impartial (composé d'un nombre réduit de personnalités nationales indépendantes, notamment celles issues des ordres professionnels tels que les avocats, magistrats, médecins, médias...), un mécanisme en équilibre (composé de représentants des partis politiques, de la société civile, de personnalités et d'experts), un mécanisme composé exclusivement de représentants des partis politiques.» L'institution pourrait, selon eux, s'appuyer sur «une organisation centrale et des démembrements au niveau territorial (wilaya, communes, centres ou bureaux de vote) pour pouvoir couvrir l'ensemble du territoire et accomplir ses missions dans de bonnes conditions.» Sur le plan financier, «l'institution disposera d'un budget de fonctionnement propre mais aura aussi à élaborer et à gérer le budget destiné à l'organisation des élections. Elle disposera d'une totale autonomie dans la gestion de ses moyens, ressources et personnels.» L'INESG pense qu'«il conviendrait de clarifier les relations de cette institution avec les autres institutions constitutionnelles concernées par le processus électoral : le Conseil constitutionnel, la haute instance indépendante de surveillance des élections et les juridictions.» L'autre «extra constitutionnalité» ou l'article 103 ? La présidence de la République a proposé aux participants de «contribuer à la définition du processus juridique nécessaire à sa création : nature du texte juridique et processus d'adoption, (d')émettre toute proposition de nomination du président et des membres de l'institution, (d')évaluer le timing de sa mise en place.» Les constitutionnalistes présents ont souligné que «la haute commission indépendante d'organisation des élections a été instituée conformément à l'article 194 de la Constitution et de la loi organique 16-1, sa suppression exige une révision de la Constitution, il n'y a aucune possibilité d'agir à cet effet en dehors de ce cadre.» Les politiques, eux, ont proposé son institution «par un décret présidentiel ou une loi organique.» La présidence de la République les a confortés en affirmant qu'«il faut une loi organique, on ne peut toucher à une loi que par une loi.» La classe politique a ainsi un mode d'emploi clair pour aller «très vite» vers des élections présidentielles. Les chefs de partis politiques présents à la rencontre ont proposé leur report «de trois ou quatre semaines» comme l'a demandé entre autres Belkacem Sahli président de l'ANR et même «de trois mois» comme recherché par le RND. La date du 4 juillet pourrait donc être changée mais après le 9 juillet, date de l'expiration des 90 jours constitutionnels, Gaïd Salah ne pourra plus se targuer d'être dans «la légalité» parce que le pays entrera dans une période «extra-constitutionnelle» sans alternative politique claire. Pour éviter le vide constitutionnel craint par Gaïd Salah, des hommes de loi lui conseillent de se rabattre sur l'article 103 de la Constitution. «En cas de décès ou d'empêchement légal de l'un des deux candidats au deuxième tour, le Conseil constitutionnel déclare qu'il doit être procédé de nouveau à l'ensemble des opérations électorales. Il proroge, dans ce cas, les délais d'organisation de nouvelles élections pour une durée maximale de soixante (60) jours. Lors de l'application des dispositions du présent article, le président de la République en exercice ou celui qui assume la fonction du chef de l'Etat demeure en fonction jusqu'à la prestation de serment du président. Une loi organique détermine les conditions et modalités de mise en œuvre des présentes dispositions», stipule l'article. Il y a donc des préalables précis que le général de corps d'armée doit mettre en place pour réussir son pari. Le Conseil constitutionnel devrait être saisi par le chef de l'Etat pour triturer l'article dans ce sens. Les nombreux candidats à la candidature et le parlement pourraient lui en garantir la faisabilité.