En ma qualité d'ex-membre de l'ex-Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH), j'aimerais que le public et plus particulièrement les hautes autorités de notre pays, prennent le temps, quelques petites minutes, pour prendre connaissance du contenu de la partie consacrée par cette institution, dans son rapport annuel 2011, à la lutte contre la corruption. A méditer. - « La consécration de l'Etat de droit est le reflet de la démocratie et son corollaire la primauté du droit et nécessite le respect des droits de l'homme et la lutte contre la corruption qui « est un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères. Elle sape la démocratie et l'Etat de droit, entraîne des violations des droits de l'homme... » et « ce sont les pauvres qui en pâtissent le plus car, là où la corruption sévit, les ressources qui devraient être consacrées au développement sont détournées... » (1). Ce pourquoi la lutte contre la corruption, la bureaucratie ainsi qu'une stricte conformité à la loi alliée au respect des droits de l'homme sont autant de fondements incontournables pour bâtir un Etat de droit. La corruption mine le tissu social de notre pays. Elle a essaimé sur l'ensemble du territoire national et a touché toutes les classes sociales. La corruption exacerbe les relations sociales et annihile les valeurs sur lesquelles doit se reposer tout groupement de personnes devant vivre en société. Les valeurs fondamentales que sont le travail, le mérite, le savoir, la droiture, l'honnêteté, l'éducation et la citoyenneté sont devenues opaques. Leur visibilité tendant de plus en plus à être estompée par la corruption qui a atteint quasiment tous les niveaux de responsabilité dans l'ensemble des domaines, et qui constitue réellement un « sport national » qui est en train d'hypothéquer les actions tendant au développement économique et social de notre pays. De même, la corruption a transformé la moralité publique en une « foire à tchipas », en une « foire à bakchichs ». C'est pourquoi les citoyens n'ont plus confiance dans leurs institutions. Ils ont recours aux personnes qui, à différents échelons, peuvent « octroyer » des droits et avantages au détriment de la loi. Ces personnes, cadres ou simples agents de l'Etat, privatisent la fonction exercée, aidées en cela par une nomination sans fin dans leurs fonctions. Et, ils dirigent les différentes institutions et administrations dont ils ont la charge comme un bien qui leur rapporte à chaque acte ou décision des avantages matériels. Une telle attitude est observée à tous les niveaux de responsabilité. Le degré de prévalence de la corruption est tel qu'il a introduit d'autres « valeurs » et sous-tend la société uniquement par les choses matérielles .Tout se vend, tout s'achète, tout a un prix. Cette situation est exacerbée également par l'impunité. La volonté politique affichée par notre pays dans la lutte contre ce fléau n'a eu aucune emprise sur ce phénomène qui se développe allègrement, se banalise et devient de plus en plus une source d'enrichissement « licite ». Certes, notre pays a adhéré à la convention des Nations Unies contre la corruption dite convention de Mérida (convention ouverte à la signature à Mérida - Mexique - le 09 décembre 2003 et entrée en vigueur le 14 décembre 2005 - ratifiée par notre pays suivant le décret présidentiel n° 128-04 du 03 août 2004. Journal Officiel n° 26 du 25 août 2004), la convention de l'Union africaine sur la lutte contre la corruption et la convention arabe de lutte contre la corruption. De même, l'Algérie a adopté le 20 février 2006 la loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, complétée par l'ordonnance du 26 août 2010. Le 22 novembre 2006, la composition, l'organisation et les modalités de fonctionnement de l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption, créé par la loi citée ci-dessus, ont été fixées par un texte réglementaire (décret présidentiel du 22/11/2006, paru au journal officiel n° 74 du 22/11/2006 ). Cependant, le président et les membres dudit organe national n'ont été nommés que le 07 novembre 2010, soit quatre (04) années et huit (08) mois après sa création (décret présidentiel du 07/11/2010, paru au journal officiel n° 69 du 14/11/2010 (décret présidentiel du 22/11/2006, paru au journal officiel n° 74 du 22/11/2006). Par ailleurs, l'ordonnance du 26 août 2010 complétant la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption a institué un office central de répression de la corruption, dont la composition, l'organisation et les modalités de fonctionnement n'ont été fixées que le 08 décembre 2010, la veille de la célébration de la Journée mondiale de lutte contre la corruption (le 09 décembre de chaque année). Cet office est chargé d'effectuer des recherches et des enquêtes en matière d'infractions de corruption. La question qu'on peut légitimement se poser est celle de savoir si les pouvoirs publics qui disposent de trois services de sécurité exerçant des missions de police judiciaire et qui effectuent avec compétence et professionnalisme des recherches et des enquêtes en matière de corruption, étaient dans l'obligation de créer cette structure qui va encore grever le budget de l'Etat et pour quels résultats. En effet, les dispositions de l'article 36 de la convention des Nations Unies contre la corruption et relatives aux autorités spécialisées ne sont pas contraignantes et ne sont pas exclusives de l'existence de structures de sécurité dotées de services de police judiciaire à spécialiser dans la lutte contre la corruption. Cette propension de notre pays à créer des structures budgétivores pour toute question mérite un temps de réflexion et un réel audit pour au moins évaluer leurs actions, leur pertinence par rapport aux missions imparties et le résultat obtenu sans en oublier le coût. La corruption gangrène notre pays et l'impunité aidant, elle risque d'altérer toute démarche tendant à assurer un essor économique et social. A moins que les pouvoirs publics ne s'attèlent vraiment à une action de salubrité publique, qui ne sera pas une opération ponctuelle visant des comparses avec une parodie de justice, et qui concernera en premier lieu les pouvoirs publics eux-mêmes. La compétence, la droiture et l'honnêteté doivent prévaloir dans le choix des hommes et des femmes devant assumer des responsabilités au niveau de l'Etat. Des hommes et des femmes qui n'auront pas pour seul souci de s'enrichir par tous les moyens, y compris par le recours à la corruption. Des hommes et des femmes qui seront au service exclusif du peuple et qui croient dans ce peuple. Des hommes et des femmes qui regarderont grandir leurs enfants et petits-enfants dans cette chère Algérie. Des hommes et des femmes pour qui le service public est un véritable sacerdoce. Des hommes et des femmes convaincus que leurs présent et futur ont pour seul cadre l'Algérie. Des hommes et des femmes en parfaite symbiose avec le peuple, l'ensemble du peuple. Des hommes et des femmes pour qui les principes d'honneur personnel et d'intégrité professionnelle sont une réalité concrète et quotidienne. Enfin, des hommes et des femmes, des Algériens et des Algériennes, jaloux et fiers de leur pays et solidaires et serviteurs du peuple. Il est grandement temps de mettre un terme définitif à la dérive actuelle, qui est à l'opposé des dispositions de l'article 21 de la Constitution, où les fonctions au service des institutions de l'Etat sont devenues une source d'enrichissement et un moyen de servir des intérêts privés. En outre, les pouvoirs publics se doivent de concrétiser effectivement les principes de bonne gestion des affaires publiques et des biens publics, d'équité, de responsabilité et d'égalité devant la loi. Ils sont tenus, également, d'être convaincus de la nécessité de sauvegarder l'intégrité et de favoriser une culture de refus de la corruption, et d'y faire participer la société tout entière. Les pouvoirs publics doivent reconnaitre le mérite et l'aptitude comme seuls critères pour accéder aux postes et fonctions supérieurs de l'Etat, et, assurer une rotation des emplois publics considérés comme étant particulièrement exposés à la corruption, tout en faisant bénéficier leurs détenteurs d'une rémunération adéquate. La fidélité servile et son corollaire l'impunité ne doivent en aucun cas être érigés en règle pour procéder aux nominations aux emplois de l'Etat. Aucun fonctionnaire, aussi haut soit-il placé dans les emplois de l'Etat, ne doit et ne peut se prévaloir être au-dessus de la loi ou se considérer comme étant la personnification de la loi (la Loi c'est moi), avec comme conséquence directe l'impunité. C'est là, le gisement de la corruption. La suprématie de la loi ne doit plus rester un vain mot ou plutôt un slogan auquel les pouvoirs publics recourent le temps d'une campagne aussi éphémère que limitée dans le temps ou pour commémorer certains évènements nationaux ou internationaux. La corruption gangrène l'ensemble des institutions de l'Etat et se banalise. Elle fait partie intégrante de la vie sociale et économique. Il faut payer ou pour employer un euphémisme répandu dans notre pays « donner un café » pour pouvoir se faire reconnaitre un droit légitime ou pour bénéficier d'un droit indu. En Algérie, c'est du pareil au même. Tout se vend, tout s'achète, tout a un prix. L'enrichissement illicite, c'est-à-dire l'augmentation substantielle du patrimoine d'un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes, est l'expression visible de la corruption dans notre pays. Et, l'impunité aidant, cet enrichissement illicite est devenu ostentatoire et s'est drapé, ainsi, de la « licéité ». La corruption a de beaux jours en Algérie si aucune action concrète, effective et durable n'est entreprise pour, au moins et dans un premier temps, enrayer la spirale ascendante de ce fléau par des « incorruptibles », des Algériens et des Algériennes, compétents, intègres, méritants et probes. La transparence et la bonne gouvernance imposent de mettre fin au clientélisme, aux nominations « pistonnées ou imposées », notamment dans les plus hautes sphères de l'Etat, au détriment de la compétence, de l'intégrité et de la fidélité au pays, au sang des martyrs qui a coulé sur cette noble terre d'Algérie et non aux hommes d'influence, aux hommes d'un moment dans la vie d'une nation. Il est temps de faire le choix de l'Algérie et de son peuple, et de combattre effectivement et sans relâche tous les agents publics qui ne cherchent qu'à s'enrichir et à amasser toujours plus d'argent, y compris par le dépôt dans des banques étrangères ainsi que l'achat de demeures à l'étranger, par le recours à la corruption, à la concussion, au trafic d'influence, à l'abus de fonctions et à différentes autres infractions prévues et réprimées par la loi, modifiée, du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et préjudiciables à l'économie nationale, à la paix sociale et au devenir de notre pays. Les sanctions doivent être exemplaires et dissuasives pour ne plus permettre au corrompu de jouir du produit de la corruption après avoir purgé sa peine. En effet, le crime paie si la sanction n'est pas adéquate et fait des émules parmi les agents publics. La Commission nationale appelle, également, les pouvoirs publics à promouvoir des pratiques efficaces pour prévenir la corruption et qui favorisent la participation de la société civile et reflètent les principes d'Etat de droit. Comme il appartient à chaque agent public de respecter les dispositions du code international de conduite des agents de la fonction publique, adopté par la résolution 51/59 de l'Assemblée générale des Nations Unies. Ledit code qui comporte onze (11) articles devrait être les « deux feuillets » de chevet de tout agent public. De même, elle invite le gouvernement et le législateur à évaluer la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, modifiée par l'ordonnance du 26 août 2010, par l'examen, à titre d'exemple : - Des peines prononcées y compris la confiscation par rapport au montant de la corruption. - De l'exécution concrète des dispositions de l'article 11 de la loi sus citée relatives aux mesures à prendre par les institutions, les administrations et les organismes publics pour promouvoir la transparence dans la gestion des affaires publiques et des biens publics. - De l'état de conformité des agents publics prévus à l'article 6 de la loi sus citée et par le décret présidentiel du 22 novembre 2006, à l'obligation légale d'établir une déclaration de leur patrimoine, conformément aux articles 4, 5 et 6 de ladite loi. - Des délais de prescription prévus par le deuxième alinéa de l'article 54 de la loi sus citée et leur adéquation pour prévenir et combattre effectivement la corruption, dans l'esprit des dispositions de l'article 29 de la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption. - De la prévalence de la corruption dans notre pays et de l'effet dissuasif ou non des dispositions de ladite loi. Enfin, la Commission nationale réitère sa recommandation, modifiée, faite en 2009 : « ...recommande... que la justice puisse exercer pleinement et sereinement ses attributions légales, notamment en ce qui concerne l'instruction à charge et à décharge, sans interférence ni de la chancellerie, ni du parquet général, ni de la police judiciaire ; et que les hautes fonctions dévolues aux cadres de l'Etat dans le domaine économique, administratif et sécuritaire soient limitées dans le temps (mandat), afin d'éviter toute appropriation de la fonction par ledit cadre qui conduit à toutes les dérives, notamment la corruption et conforte l'intéressé dans sa conviction qu'il est la personnification de l'Etat. L'institution n'existe plus et la loi non plus. Seuls sa volonté et ses désirs comptent » - A méditer, de nouveau. Le temps perdu, le temps passé. Le temps présent et la crise politique et éthique dans laquelle se débat notre pays. La corruption et toujours la corruption. Peut-on rêver d'un avenir propre et d'une saine gestion des affaires publiques, de la cité. I have a dream... *Colonel à la retraite, ex-membre de l'ex-CNCPPDH au titre du MDN Note 1- In avant-propos de M. le SG / ONU Kofi A. Annan, lors de l'adoption de la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption