Voila qui est fait. Les Tunisiens ont élu la semaine dernière, démocratiquement et en toute transparence, leur président de la République. Chose inédite dans cette région du monde dans laquelle les résultats des scrutins sont quasiment toujours connus d'avance et en faveur du maître du moment. De ce fait, le peuple tunisien aura normalisé l'exercice électoral, renforcé sa jeune démocratie et semé l'espoir sur ses flancs. Cependant, ce qui est encore novateur dans l'exercice démocratique de ce pays, c'est cette réplique sismique de la Révolution du Jasmin qui a emporté avec elle ce qui restait de l'establishment politique en mettant out un Premier ministre, un ministre de la Défense, le candidat de la mouvance islamiste et un patron milliardaire... La jeunesse tunisienne ne s'est pas résignée à attendre du système qui a trahi ses espérances pour qu'il lui accepte la ré-appropriation de son pays, volé par une contre-révolution portée par les réseaux de l'ancien régime qui se sont fondus dans un nouveau pôle composé de sociaux-démocrates et de laïcs pour contrer les islamistes. Elle s'est mobilisée à la quête de son destin pour démentir ceux qui lui ont fait croire, à tort, que sa révolution était caduque et ne pouvait mener qu'au chaos et au désastre semés à ses frontières. C'est elle -au contraire- qui a levé le voile sur l'obsolescence programmée de l'establishment tunisien. L'intelligence de cette jeunesse réside dans sa détermination à changer de culture politique. Au lieu de s'entêter dans le «dégagisme» et la radicalité, elle a trouvé devant elle un boulevard politique dans lequel elle a saisi sa voie en misant sur une personnalité atypique, Kaïs Saïed, sans parti politique, sans soutien des forces de l'argent, sans soutien militaire, adepte d'une campagne électorale modeste et minimaliste et refusant le financement public qui lui était dû. Si la jeunesse tunisienne a réussi à placer le moteur de l'étage supérieur de la «fusée» en entraînant avec elle la majorité des électeurs, c'est parce que la Tunisie est restée globalement dans les luttes idéologiques à l'intérieur d'une classe politique traditionnelle - gauche et droite - et récemment entre laïcs et islamistes, contrairement à l'Algérie où le pouvoir a confisqué et monopolisé l'expression politique sous le sceau de la légitimité historique tout en encourageant les divisions de la société pour mieux la contenir. Si aujourd'hui, la confiance est complètement rompue entre le peuple et les politiques en Algérie, les affirmations identitaires, régionalistes et religieuses sont devenues un cocktail explosif très dangereux pour la cohésion du peuple algérien qui ne devrait pas s'égarer dans des sentiers qui lui font oublier les chemins de la révolution légale qui le sortira du bourbier dans lequel l'ont mis ceux qui l'ont berné pendant 57 ans. Comme disait le poète tunisien, Abou El Kacem Chebbi : «Lorsqu'un jour le peuple veut vivre, Force est pour le Destin de répondre, Force est pour les ténèbres de se dissiper, Force est pour les chaînes de se briser »