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Du drame de Larbâa Nath Irathen et de la non-violence
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 19 - 08 - 2021

Il est évident que la mort tragique du jeune Djamel Bensmaïl, lynché et assassiné par la foule à Larbâa Nath Irathen, constitue un drame majeur dans l'histoire de l'Algérie. Bien sûr, il ne s'agit pas d'oublier les dizaines de victimes des incendies qui ravagent le pays et notamment la Kabylie. Il ne faut pas non plus ignorer les terribles dégâts infligés aux biens et à l'environnement. Mais dans le cas précis de cet artiste engagé, mort dans des circonstances atroces alors qu'il entendait aider ses concitoyens à lutter contre les flammes, il y a le constat d'une immense monstruosité, de celles dont nous savons les hommes capables mais qui laisse toujours pantois. Qui sidère et pousse à la misanthropie.
Beaucoup de choses ont été écrites à propos de ce drame, les réseaux sociaux véhiculant dégoût et colère à l'égard des assassins et de leurs complices, actifs ou passifs. On citera aussi la mise en cause - légitime - des autorités, ne serait-ce que parce qu'elles n'ont pu protéger la victime sans oublier les innombrables théories du complot dont Internet facilite la propagation. Personne ne niera que l'intervention du père de « Jimmy », comme on le surnommait, a été décisive pour empêcher qu'un autre type d'incendie ne se propage. Un Algérien arabophone massacré par des compatriotes berbérophones, l'occasion était idéale pour les fauteurs de trouble de pousser les uns contre les autres et provoquer des crimes à plus grande échelle. Je ne connais pas le père de Djamel Bensmaïl mais en écoutant les paroles sages du père, j'ai eu cette pensée simple, sans prétention : cet homme est l'Algérie dans ce qu'elle peut avoir de mieux et de bon. Il faut rendre hommage au fils, remercier son père pour ce qu'il a fait pour préserver la paix civile et consoler ses proches.
Face à un tel événement, il convient d'abord d'intérioriser sa réflexion. De se demander ce que l'on transmet soi-même comme valeurs et enseignements pour empêcher une telle abomination. Cela oblige à réfléchir aux propos que l'on tient au quotidien sur le rapport à autrui, sur le respect de toute vie humaine, sur la notion de punition. Beaucoup de gens ont évoqué la question de l'école et de l'éducation. Mais il serait aussi opportun de réfléchir aux paroles et aux comportements à l'intérieur des familles. Depuis plusieurs décennies, le discours dominant est toujours punitif, il n'est question que de châtiment, de péchés, de haram, de stigmatisation de tout ce qui est considéré comme hors du cadre licite. Et puis, il y a l'obligation de la virilité. Se faire justice soi-même dans la rue ou dans une cour de récréation est une obligation, une règle absolue. Se bagarrer pour un regard de travers ou une queue de poisson est jugé normal, honorable. DebzawelDemIssil. La bagarre et que le sang coule... Pourtant, rien n'est plus honorable que d'être non-violent.
Certes, tenir des propos incitant au respect d'autrui, à la non-violence, à la résolution pacifique des conflits du quotidien, tout cela provoque sourires et amusements. Et que dire des ricanements et des réactions scandalisées qui accompagnent tout discours contre la peine de mort ? Car, c'est bien de cela qu'il s'agit aussi. Tel homme a commis un féminicide, il doit être pendu. On soupçonne telle personne d'avoir allumé les feux, alors elle doit mourir. Que les esprits soient enfiévrés ou qu'ils ne le soient plus, tuer le coupable semble être alors l'unique solution. Et parce que ce n'est pas assez, il faut mutiler son corps. Qu'une femme, infirmière (!), ait incité à la décapitation du martyr de Larbâa Nath Irathen, n'est pas simplement un indice de la prégnance de la culture de violence qui empoisonne notre société. C'est aussi un vrai indicateur du délitement de nos valeurs, de la confusion qui règne dans une société qui ne sait plus où elle en est, qui ne sait pas quelle voie prendre parce que les injonctions sont contradictoires, parce que le progressisme, qu'il soit social ou sociétal, est devenu suspect en ces temps de bigoterie et de néoconservatisme généralisés.
Il faudra attendre avant de savoir ce qui s'est vraiment passé à Larbâa Nath Irathen et c'est pour cela qu'il faut être prudent dans ses mises en causes et dans ses critiques. Mais une chose est certaine, on ne peut ignorer le contexte dans lequel a eu lieu ce drame. Ce n'est pas Internet qui a parlé, dès le début des incendies, d'actes criminels coordonnés mais bien les autorités. Cela fait trop longtemps que le pouvoir entretient cette paranoïa en évoquant systématiquement un complot quand quelque chose va mal. C'est ainsi qu'on conditionne les esprits cela d'autant qu'on ne sait jamais quel est ce complot, qui l'organise, et quels en seraient les objectifs. Vague et répétitif, ce discours porte sur les nerfs, il fait accumuler colère, soupçon et ressentiment. Et, tôt ou tard, la violence explose.
Un mot pour terminer. J'ai lu, sans vraiment être surpris, des textes accusant le Hirak d'être le vrai responsable de la tragédie de Larbâa Nath Irathen. En critiquant le pouvoir, et donc l'Etat, la contestation aurait engendré un nihilisme criminel. Ce propos, opportuniste et flagorneur, est d'une telle indécence qu'il convient juste de rappeler que Djamel Bensmaïl était engagé au sein du Hirak, qu'il rêvait d'un Etat de droit et que c'est sa générosité au service du bien-être commun - celui dont on prive depuis trop longtemps les Algériens - qui lui a valu de perdre la vie.


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