Le grand danger dans une société rentière comme la nôtre c'est que «le Nous collectif « tue à tous les niveaux «le Je créatif», au nom de beaucoup de faux idéaux. Quand on survit à court d'oxygène, on se sent suffoqué et l'on perd peu à peu notre relation avec le monde du vivant. Le monde du vivant, c'est bien entendu le monde du savoir, des idées, de la culture, des arts, de la technologie, etc. Et l'on est dans l'agonie, en route vers le néant. Bref, le citoyen est projeté dans une autre dimension : la lutte pour la survie, où l'essentiel (le superficiel dans la vie réelle) prend le dessus sur le superficiel (l'essentiel dans la vie réelle). C'est pourquoi, il ne donne plus de la valeur au temps, facteur important du progrès des nations, mais il le gaspille dans le futile. Sinon, il le tue. Tuer le temps est une activité favorite et dirais-je ô combien «rentable» dans les sociétés rentières. Combien de fois n'a-t-on pas entendu des jeunes de l'un des quartiers des villes de chez nous répondre à la question : «Que faites-vous dans la vie» ? par «tuer le temps». Sans doute, des dizaines de fois. Pourquoi ? Tout simplement, parce que, lorsqu'on ne réussit pas à «remplir son temps», on le tue. Or, le temps, il faut bien le remplir, il faut l'arroser, il faut l'entretenir, il faut l'occuper et non pas le tuer. Car, dans ce dernier cas, on n'est plus en lien avec le monde vivant, mais en rupture de ban avec lui. Ainsi, construit-on par nos propres mains les murs de notre prison, au lieu de jeter les bases de notre présent. Or, vivre le présent est une étape essentielle pour le «Je créatif», afin qu'il (le Je) échappe à la dynamique moutonnière du groupe. Le groupe qui croit en le «Nous», sans qu'il ne parvienne à comprendre «le Je» détruit le principe du progrès, stérilise les idées en les transformant en dogmes, uniformise, dans le conformisme, la vision de la société, en lui injectant la morphine de la stupidité et de la banalisation de la (les) réalité (s). Plus qui est, il empoisonne, et c'est là le danger réel, l'altérité, c'est-à-dire la relation de l'autre avec le moi citoyen et vice-versa. La civilisation, la culture, la société meurent quand le «Je» n'arrive pas à être actif, autrement dit, quand il ne parle plus, ne réagit plus, ne manifeste plus et suit la trajectoire du «Nous collectif». Si «le Nous» crée le dogme ou l'idéologie, «le Je» favorise la diversité et le débat contradictoire. Cela dit, sans la réappropriation du «Je» de la place qui lui convient dans la société, il n'y aura aucun saut en avant : la société sera en route vers l'abîme, vers le chaos. Le «Je», ou la subjectivité, c'est d'abord la modernité. Et qui dit modernité dit la liberté d'être soi-même, sans entraves ni barrières particulières. En ce sens, donner un caractère presque sacré dans les textes et les faits à la liberté de pensée, la liberté d'opinion et la liberté du culte.