Pays du Tiers monde, du Sud, périphériques, sous-développés, en développement, pauvres très endettés, … Les concepts, catégories et qualificatifs ne manquent pas pour désigner les pays les plus pauvres de notre planète. Mais derrière chaque concept, catégorie, qualificatif, il y a une vision, une histoire et des politiques mises en œuvre. Quand l'ONU adopta officiellement en 1971 le terme de « pays les moins avancés », son objectif était de développer des politiques spécifiques adaptées à ce groupe de pays. L'intention était louable, mais les résultats n'ont pas suivi. Moins avancés ? « Jusqu'au milieu des années 60, explique la CNUCED, les pays en développement étaient considérés comme un ensemble homogène, que seule la structure de leurs exportations de produits de base différenciait ». Pour dépasser cette approche simpliste et mettre en œuvre des politiques adaptées, l'Organisation des Nations Unies (ONU) adopte en 1971 l'expression de « pays les moins avancés » (PMA), Least Developed Countries en anglais. Ce concept désigne les pays les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète. Trois critères sont utilisés : un faible revenu national, un bas niveau de développement humain, une vulnérabilité économique. Depuis 1971, les PMA ont vu leur nombre doubler. Ils étaient 24 en 1971, 31 dix ans plus tard et 48 aujourd'hui. 33 sont en Afrique, 9 en Asie, 5 en Océanie et 1 en Amérique latine. Ces pays englobent quelque 850 millions d'habitants, soit environ 12% de la population mondiale, mais ne représentent que 2% de la richesse mondiale (PIB mondial) et 1% du commerce mondial des marchandises. Seuls trois pays ont pu se hisser hors du groupe : le Botswana en 1994, le Cap Vert en 2007 et les Maldives en ce début d'année 2011. Des résultats peu brillants En matière de développement des PMA, un premier constat interpelle. Malgré une croissance annuelle du PIB de ce groupe de plus de 7% entre 2002 et 2007, ces pays peinent à assurer une répartition équitable des bénéfices pour l'ensemble de leurs populations qui se retrouvent encore pour la moitié dans l'extrême pauvreté. Les indicateurs de recul de la pauvreté ou de développement humain restent en-deçà des objectifs les plus minimalistes. « Sur l'ensemble des PMA, 277 millions de personnes, soit 36% de la population, vivent avec moins de 1 dollar par jour. 31% sont sous-alimentées, alors que dans les autres pays en développement ce chiffre n'atteint que 17% . » Il y a pourtant eu plusieurs conférences internationales, des plans d'actions et d'autres mesures (préférences commerciales, allègement de dettes) mais ils ne semblent pas avoir réussi à inverser la tendance. Durant les années ‘70, il est apparu que « les PMA étaient de plus en plus distancés, quand ils ne régressaient pas » [4]. Pour contrer cette tendance, une première conférence des Nations Unies sur les PMA (PMA-I) est organisée à Paris en 1981, et débouche sur un premier programme d'action. La situation va toutefois continuer à se détériorer. Sur le plan international, on assiste à la fin du monde bipolaire, à la dégradation constante des termes de l'échange [5] pour les économies les plus pauvres et à l'éclatement de la crise de la dette. Pour rester solvables et garantir le service de leurs dettes, nombre de PMA font appel aux Institutions financières internationales (IFI), qui les incitent, pour ne pas dire les obligent, à mettre en œuvre les tristement célèbres plans d'ajustement structurel. L'entrée dans la décennie ‘90 se fait avec les premières critiques des orientations économiques et politiques de développement prônées par les IFI dans les pays les plus pauvres, où le cercle vicieux de la pauvreté se renforce sur fond de croissance démographique, d'explosion des populations urbaines et de résurgence de conflits régionaux. En 1990, à Paris encore une fois, la conférence PMA-II donne lieu à l'adoption d'une nouvelle déclaration et d'un autre programme d'action pour les années ‘90. Les années 2000 s'annoncent mal. L'ambiance laisse alors transparaître une certaine fatigue des donateurs et une difficulté de maintenir le soutien spécifique à ce groupe de pays. La part de l'aide attribuée aux PMA a chuté de 45%, et celle des flux de capitaux à leur destination de 39%. L'Union européenne propose alors la tenue à Bruxelles de la Conférence PMA-III en mai 2001. Pour la première fois, un forum de la société civile est organisé en parallèle à la rencontre. Un Observatoire regroupant organisations, réseaux et mouvements de la société civile d'ici et de là-bas est créé. La 4e Conférence sur les PMA (PMA-IV) se tiendra quant à elle sur les rives du Bosphore, à Istanbul, du 9 au 13 mai. L'objectif de ce sommet sera une fois de plus de définir un plan d'action pour la prochaine décennie. Mais il y sera aussi inévitablement question des faibles avancées, voire de l'échec des politiques menées en faveur de ces pays depuis la création de la catégorie. Le marché comme pierre angulaire Plus que l'échec des plans d'action et mesures ciblés, c'est leur orientation à teneur très commerciale qui doit faire aujourd'hui l'objet de débats. A ce titre, l'initiative « Tout sauf les armes » est un bon exemple de cette orientation. Lancée en 2001 par l'Union européenne, l'initiative « Tout sauf les armes » a consisté à accorder une exemption sur les taxes et les quotas à tous les produits, exceptés les armes et les munitions, en provenance des PMA. L'initiative semblait généreuse. Pascal Lamy, commissaire européen au Commerce de l'époque, devenu depuis secrétaire général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), s'en félicitait : « Nous avons tenu nos belles promesses. Nous adressons ainsi au reste du monde un message de sérieux indiquant notre volonté d'amener les pays les plus désavantagés à partager les fruits de la libéralisation du commerce . » Une étude approfondie de l'initiative confirme cependant qu'il s'agissait surtout d'une entreprise de séduction de l'opinion européenne et des PMA pour qu'ils prennent le train de la libéralisation commerciale, notamment dans le cadre du cycle de négociations de l'OMC, en montre cependant les limites. Thierry Kesteloot, d'Oxfam-Solidarité, affirmait déjà à l'époque que « l'initiative de Pascal Lamy procède d'un choix fondamental : celui de la préférence donnée au libre-échange sur le développement durable. Il est clair que le libre accès est loin d'être suffisant comme mesure. Cela ne changera peu ou rien dans un rapport de force inégal entre producteurs. » Le rapport 2010 de la CNUCED sur les PMA constate que les trente dernières années de coopération ont misé sur le fait de « libérer la puissance créatrice des mécanismes de marché en réduisant le rôle de l'Etat dans le processus de développement », avec des résultats plus que mitigés. Après plusieurs décennies de politiques de développement fondées sur la croissance économique, la vulnérabilité des économies des PMA aux chocs extérieurs s'est renforcée. « Ce déséquilibre croissant, explique la CNUCED, a abouti à un alourdissement de la facture des importations de denrées alimentaires et a eu des conséquences néfastes qui se sont traduites par un développement moins soutenu et moins équitable ». Un paradigme recyclé Devant l'échec du commerce comme moteur du développement, la CNUCED propose aujourd'hui un nouveau paradigme, celui du développement des capacités productives, où l'Etat jouerait son « rôle développementiste » en « créant des conditions favorables à l'accumulation de capital, au progrès technologique et à la transformation structurelle, ainsi qu'à la création d'emplois productifs ». L'Etat et la production sont remis au centre du système. Une nouvelle architecture de l'aide est proposée, misant sur cinq éléments incontournables : « les ressources financières, le commerce, les produits de base, la technologie, ainsi que l'adaptation aux changements climatiques et leur atténuation » [10]. La CNUCED considère que le principal objectif pour les PMA serait une croissance durable leur permettant de rattraper le retard sur les pays à revenus intermédiaire. En fait, plutôt qu'un nouveau paradigme, cela ressemble à un nouvel emballage des éléments fondateurs de l'idéologie du développement en tant que processus de rattrapage. Nouveau consensus Les trois critères utilisés par l'ONU pour classer un pays comme PMA sont réducteurs. Ils enferment de facto un certain nombre de ces pays sur base de facteurs économiques et humains endogènes et ne permettent pas de prendre en compte suffisamment les mécanismes internationaux qui se sont de plus en plus imbriqués dans le fonctionnement des Etats. Mais n'est-ce pas finalement le propre de toute catégorisation d'être réductrice ? Le problème n'est peut-être pas le diagnostic du mal mais plutôt le remède. Il serait aujourd'hui opportun d'élargir le débat vers les nécessaires changements de cap au niveau mondial. Les mesures qui pourront alors être prises rentreraient dans la logique d'un nouveau consensus sur les modèles de développement humain durable. Créer un environnement favorable à la réussite des programmes d'action en faveur des PMA, tel semble finalement l'enjeu principal.