Jamais depuis la chute de la dynastie idrisside en 985, les différentes périodes de leur histoire mouvementée et les périodes qui suivirent, agitées et parfois troubles, rarement sereines qu'a traversé le Maghreb, et l'exode de Fès vers ce qui est aujourd'hui Zemmora de Sidi Mohammed Ibn Aïssa Ibn Ibrahim, plus connu sous Sidi Harrat Benaïssa El Idrissi, les Hararta ne se sont sentis aussi proches les uns des autres que samedi dernier lors des festivités de la waâda de leur ancêtre. L'heure n'est plus à la division des descendants de ceux qui, selon Ibn Khaldoun « ont contribué à l'islamisation des tribus païennes, et combattu le kharidjisme, le judaïsme et le christianisme », avant de perdre leur royaume, qui s'étendait sur l'ouest du Maghreb, après qu'ils aient été envahis par les Omeyades de Cordoue. Leur royaume illumina l'Afrique du nord pendant près de deux siècles, soit depuis qu'Idriss El Akbar accéda au trône le 5 février 789. C'est en présence de M. Kadhi Abdelkader, le wali de Relizane et du président de l'Assemblée populaire de wilaya, M. Bendjebbar Abdelkader et d'autres personnalités qu'ont été clôturées les festivités de cette importante waâda de la région des Flita. Si la borda de l'imam El Boussaïri, ce célèbre poème glorifiant le prophète Mohamed, que le salut soit sur lui, conquiert les cœurs et se chante encore partout ailleurs en terre d'Islam, elle est chez les Hararta le clou du « spectacle » de la waâda. Des centaines de tolba glorifient en chœur le sceau des prophètes. En rangs serrés, à gorge déployée et les visages graves, ils récitent les vers de la borda et la foule reprenant le refrain parait soliloquer alors que les fusils pointés vers le ciel agrémentent de salves de baroud dont l'odeur chatouille les narines de ces valeureux enfants de guerriers. Les cavaliers locaux et leurs pairs venus pour l'occasion des wilayas de Chlef, Mostaganem et Aïn Defla, qui avaient durant toute la soirée de vendredi assourdi le public avec leurs salves bien synchronisées de baroud et égayé les yeux avec la machine à remonter le temps qui fit un retour assuré du burnous et du guennour, n'ont pas manqué de donner de leur mieux devant l'assistance. C'est à bride rabattue que s'élançaient dans un galop allongé les montures avant de resserrer le rang et qu'un « Ya Allah » du leader donne le signal de la salve. Une manœuvre venue de la nuit des temps et dont la dernière fut exécutée par les Hararta aux côtés de Cheikh Bouamama. Près de soixante gassaâs de couscous -fait maison, c'est un impératif- garnies de viande d'agneau, accompagnées des meilleures grappes de raisin que la vigne locale ait pu donner, ont été servies aux invités venus de toutes parts dont la présence de certains n'est pas passée inaperçue comme ce couple de français qui s'est gavé de galops groupés et de hennissements des chevaux barbes et arabes dont la robe scintillait au soleil témoignant de la bonne santé des bêtes. Et pour la première fois dans l'histoire de cette waâda, qui dure depuis plus de six siècles, la tchicha –dchicha chez d'autres-, cette orge mi-mûre et concassée, aux abats et têtes d'agneaux, a été servie aux autorités locales pour répondre aux caprices d'un élu délégué en ami par un commis de l'Etat qui voulait agrémenter à sa façon le menu du jour. Cette sortie de l'ordinaire appuie bien fort le sens aigu de l'hospitalité chez les descendants de Sidi Harrat. Pour la première fois depuis des décennies, la djalala des Rouachdia, ces madihs séculaires propres aux Hararta, n'a pas été de la cérémonie de la veille, mais la hadra y était quand même avec les Fokara venus expressément de Relizane. Islam et traditions obligent, la présence de musiciens, danseurs et autres gens de bohême aussi virtuoses soient-ils a toujours été bannie en ces lieux. La présence de M. Belhadj Mahamad Hadj Menouer le père de l'école post indépendance de Zemmora, M. Seghier Hadj Djilali qui a fait le déplacement d'El Ançor aux confins de l'ouest d'Oran, M. Boughliem Boudjemaâ et les siens de Hadjadj a réconforté M. Adda Bouziane Hadj Benaïssa, âgé aujourd'hui de quatre-vingt-dix ans, et Kerroum Ahmed qu'un handicap a cloué chez lui depuis bien longtemps. Enfin, les Hararta de Dellys, d'Alger, de Sirat, de Guelma et de Ghazaouet comme ceux établis en France, au Canada et ailleurs auront tout le loisir de contempler sur le net l'événement immortalisé par le photographe amateur Benahmed Belkacem. Profitant de son passage dans cette zone dont les sacrifices pour l'Algérie libre et fière ne sont pas à démontrer, mais à écrire, M. Kadhi Abdelkader, le wali de Relizane, s'est enquis de la situation de ses administrés, s'est étonné que des foyers évacués durant la décennie noire puis réoccupés sont encore à l'ère de la bougie. Quand à l'absence d'eau dans la mosquée de Sidi Harrat à un jet de pierre de la source d'Aïn Sidi Harrat, elle laisse stupéfait. La présence du sommet de l'exécutif et des autorités civiles et militaires à cette grandiose cérémonie a été une réussite. Le gendarme comme le policier, le directeur de wilaya comme le chef de daïra, le maire, le directeur d'école et autres commis et dévoués au peuple se sont imprégnés d'un retour aux sources garanti tout en inhalant la peine que se sont donnés les Hararta, ces guerriers de l'Emir Abdelkader, pour que la paix et la sérénité règnent sur ce beau pays. L'heure ayant été à la réconciliation, les Hararta se sont promis de mieux faire encore l'année prochaine, inchallah.