Il y a eu, ces derniers mois, beaucoup de discussions sur la viabilité de l'industrie du pétrole de schiste. Une des questions les plus centrales, mais pas la seule, une autre énigme, concerne bien évidemment le vrai coût marginal de production de l'Arabie Saoudite : en-deçà de quel prix, en dollars par baril, cessent-ils d'être rentables ? Combien de temps sera-elle capable de tenir au niveau des cours actuels ? Quel impact sur le volume de la production ? Doit-on s'attendre à une vague de faillites massive si les prix restent là où ils sont ? Autant de points, que l'économiste Français Guillaume Nicoulaud, l'a détaillé récemment dans un article fort intéressant sur le marché pétrolier que Réflexion a jugé fort utile de le publier. Analyse de Guillaume Nicoulaud. Arabie Saoudite : le vrai coût de production Il y a eu, ces derniers mois, beaucoup de discussions sur la viabilité de l'industrie du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Une des questions les plus centrales – mais pas la seule, j'y reviendrai – concerne bien évidemment les coûts de production de ces nouveaux arrivants : en-deçà de quel prix, en dollars par baril, cessent-ils d'être rentables ? Combien de temps sont-ils capables de tenir au niveau des cours actuels ? Quel impact sur le volume de la production ? Doit-on s'attendre à une vague de faillites massives si les prix restent là où ils sont ? Autant de questions qui, si vous avez pris la bonne habitude de croiser des opinions contradictoires, n'admettent pas de réponse simple. Comme je suis moi-même en train de frotter et limer ma cervelle là-dessus, il me semble qu'il est un aspect des choses dont presque personne ne parle mais qui n'est pourtant pas sans intérêt ; quitte à le dire de manière un peu brutale je le formulerai ainsi : quel est le vrai coût marginal de production de l'Arabie Saoudite ? Vous avez sans doute eu vent des déclarations de M. Ali Al-Naimi, le Ministre Saoudien du pétrole qui se trouve être un des grands promoteurs de la stratégie de dumping de l'OPEP: selon lui, l'Arabie Saoudite est tout à fait prête à supporter un effondrement du cours de l'or noir ; même à $20 le baril, nous fait-il savoir, le royaume des al-Saoud continue à gagner de l'argent. C'est une vaste blague. Entendez-moi bien : personne ne doute que les grands exportateurs de pétrole du golfe persique, Arabie Saoudite en tête, bénéficient effectivement des coûts marginaux d'extraction les plus faibles au monde ; on voit souvent circuler le chiffre de $5 par baril. Seulement voilà, ce chiffre est très loin du véritable break-even du royaume : le problème n'est pas de savoir s'ils gagnent de l'argent mais s'ils en gagnent suffisamment pour payer tout ce qu'ils espèrent financer grâce à cette manne pétrolière. Concrètement, le budget 2015 du royaume prévoit quelques $229,3 milliards de dépenses – dont une bonne partie sera affectée aux politiques clientélistes qui permettent aux Saoud de se maintenir au pouvoir. Or, avec un baril à $55-$60, les recettes plongent à $190,7 milliards, soit un déficit de $38,6 milliards (5% du PIB au bas mot). Alors oui, l'Arabie Saoudite dispose d'un trésor de guerre considérable et d'une faculté d'endettement qui lui permettent de compenser le manque à gagner pendant quelques années. Mais, alors que la succession d'Abdallah s'annonce un brin compliquée (façon Game of Thrones), que Daesh menace aux frontières et que le grand protecteur américain, pour la première fois depuis 1945, pourrait bien ne plus considérer la protection des Saoud comme un objectif stratégique prioritaire, vous admettrez que le moment semble mal choisi pour vider les caisses royales. Et encore : ça, c'est pour les Saoudiens et leurs voisins immédiats. Parce que pour un certain nombre d'autres membres de l'OPEP, sans même évoquer la Russie, la situation est autrement plus désespérée : pour des pays comme l'Iran, le Nigéria et, last but not least, le Venezuela, le niveau actuel des cours n'est plus seulement un risque économique, c'est devenu un risque politique : certains de ces régimes ont bien plus à craindre des prix actuels que l'industrie américaine du pétrole de schiste. Autant dire que l'OPEP a tout intérêt à ce que sa stratégie fonctionne très vite parce qu'à défaut, le cartel a de bonnes chances d'exploser. C'est, somme toute, la fameuse malédiction du pétrole. L'abondance de cette ressource dans le sous-sol d'un pays agit comme un aimant sur les irresponsables populistes de tous bords qui s'empressent de la capter et de l'utiliser pour financer toutes les imbécillités socialisantes et clientélistes qui leur passent par l'esprit. Invariablement, les cours finissent par baisser et, tout aussi invariablement, lesdits irresponsables se retrouvent le dos au mur : c'est la révolution suivie d'une faillite, ou la faillite puis une révolution. Pour en revenir à ma question initiale, j'admets volontiers que je n'ai aucun chiffre précis mais je suspecte qu'à moins de $60 par baril, les membres de l'OPEP et la Russie ne tiendront pas longtemps.