« Reste en compagnie de ceux qui, matin et soir, invoquent leur Seigneur ne désirant que Son agrément. » (Coran, sourate 18, verset 28). Et rester en leur compagnie c'est tendre vers la perfection qu'aucun humain n'atteindra, mais que le cheminement est merveilleux vers ce non-aboutissement qui est en lui-même un aboutissement. Il est le but atteint. Le but fixé au loin et atteint que chacun indexe à sa manière selon l'amélioration qu'il constate en son esprit et son âme. Qui ne cherche pas ne trouve pas, mais aussi reste aveugle celui qui ne veut pas voir. Loin de tous les fastes de ce bas monde, des hommes se sont engagés sur d'autres chemins que ceux de nous autres communs des mortels. Ces hommes ont su que l'esprit humain, cette essence qui a préexisté au corps, est la force qui mène à désintégrer la matière qui nous obnubile et mène le genre humain vers sa perte. Vendredi 8 choual 1431-c'est ainsi et pas autrement-donc avant-hier, la zaouïa Mekkya de Bermadia, dans la wilaya de Relizane, a accueilli comme c'est devenue la coutume la rencontre annuelle de tous ces hommes fascinants et fascinés qui fascinent. Le troisième monde. Salah Mekki, le Cheikh de la zaouïa, d'obédience Rahmania n'a pas que cette confrérie à faire profiter de ce rassemblement spirituel. Il aime partager. Toutes les confréries y étaient au rendez-vous. C'était son vœu. Les confréries ou tourouq et leurs ramifications telles la Rahmania, la Qadiria, La Chadilya, la Boutchichia, la Hebria, l'Alaouia, la Bouzidia, la Tidjania, Djazoulya, la Senoucia seront bien représentées, selon le Cheikh. Il le dit avec fierté. Les invités ont afflé de Telerghma, Constantine, El Bayadh, Chlef, Laghouat, Aïn Defla, Adrar, Mascara, Djelfa, Batna, Béchar, Tiaret, Alger, Mostaganem, Tlemcen, enfin ils y étaient de presque toutes les wilayas d'Algérie. Chouyoukh, imams et oulémas ont répondu à l'appel. Sa satisfaction en était qu'ils étaient de vieux maîtres à penser qu'il a réussi par la grâce d'Allah à réunir chez lui. Ils ont illuminé la zaouïa Mekkya. Il l'ont illuminée et la clarté de cette lumière qui dure et qui purifie les âmes miroite encore dans l'enceinte des lieux saints érigés à la mémoire de Cheikh Habdelkader Belmekki.. Un honneur et un bonheur. Jadis, confie le Cheikh, les Chouyoukh, sous la même bannière, la bannière de l'Islam, prônaient le djihad et pas loin de nous, les Oulémas en ont fait autant dans un seul but : le djihad. Aujourd'hui aussi, nous devons nous unir, car il y a toujours une noble cause à défendre et une mission à accomplir sur terre. Nous devons rassembler nos forces pour préserver la paix et l'unité de ce beau pays. Le Cheikh aime parler d'un retour aux sources de l'authenticité. Les traditions se perdent, mais la foi est toujours vivace. D'ailleurs, hormis les grands invités de la veillée de vendredi dernier, des centaines de convives toutes régions et professions confondues ont psalmodié les versets du Saint Coran et entonné les chants soufis-samae soufi- à la suite des mounchids aux voix sublimes. Ils sont ingénieurs, pompiers, pilotes, enseignants, étudiants, éboueurs, sportifs, cuisiniers, maçons, acteurs, puisatiers, bûcherons, médecins, députés, maires et rien ne les différencie les uns des autres. Ils ont tous logés à la même enseigne dans cette maison d'Allah. Leurs âmes sont légères et flânent parmi les doux versets coraniques et quand il se doit des « la ilaha illa Allah Mohamed Rassoul Allah » fouettent dans des frissons divins la faiblesse de l'humain qui, un jour ou l'autre reviendra vers son Créateur pour présenter ce qu'il a accompli d'utile en ce bas monde. Cette rencontre nationale où l'on a écouté le saint Coran psalmodié par des groupes de tolba-étudiants coraniques-des différentes zaouïas et les Chouyoukh, a vu aussi l'iâmar, la hadra pour d'autres, cette incontournable et ancestrale transe soufie. Le summum est la parole d'Allah psalmodiée par des centaines de voix de tous les âges et qui font tirer les larmes des fonds des cœurs tendres et moins tendres. Dans un large sourire, pour ne pas dire que j'ai aperçu sa dent de sagesse, le Cheikh poursuit : Des certaines de gens ignorent que de telles rencontres sont des expéditions vers un troisième monde et la cargaison n'est autre que le dressage des âmes et le ravitaillement des esprits qui souffrent une réelle disette. La plupart d'entre eux trouvent qu'ils ont comblé un vide, qu'ils ont colmaté une brèche ou qu'ils ont trouvé ce qu'ils recherchaient depuis des années. C'est le monde du saint Coran et de la parole d'Allah destinée à l'humanité entière de par l'Islam, cette religion de paix, de tolérance et de miséricorde. En pareil moment, les hommes comprennent que le corps ne peut aller sans l'esprit et que l'esprit peut aller sans le corps. Cheikh Mekki attendait depuis jeudi dernier de pied ferme les chouyoukh et imams dont nous citerons Cheikh Bencherky, Si M'hamed Tayeb d'El Bayadh, Cheikh el Mamoun d'El Hamel, Cheikh Chaïb Draâ de Rahouia, Cheikh Abdelhafid Soufi de Maghnia pour ne citer que ceux-là. Malgré la pluie battante, il y a eu foule et l'on dû quitter l'immense cour pour la mosquée de la zaouïa qui, comme par enchantement a contenu plus que l'effectif prévu par ses concepteurs. Il est bien utile de noter que la zaouïa Mekkya est la seule au monde à former en neuf mois des tolba, ces étudiants coraniques. Une prouesse. Les cent quatorze sourates du saint Coran sont apprises par cœur parfois avant le neuvième mois quand l'élève est studieux. Il n'est demandé aucun effort supplémentaire à l'étudiant par rapport aux autres écoles. Et pour rappel, Cheikh Mekki Salah est un professeur d'anglais, un universitaire et pédagogue qui a su transposer les méthodes modernes d'enseignement qu'il applique dans les lycées vers sa zaouïa. Et cela a fait écho jusqu'à l'Emirat du Koweït qui a dépêché en mai dernier une délégation de chouyoukh, experts en sciences de l'éducation et qui ont été bien satisfaits. Et pourtant les moyens manquent, et les aides et ressources ne sont point sujets d'actualités. Tout marche par la grâce de Dieu. Et la preuve, soixante-quinze tolba ont quitté la zaouïa pour assurer les taraouih, les prières surérogatoires, durant les nuits du Ramadan de cette année, quelques uns poursuivent leurs études en Arabie Saoudite et d'autres sont en Egypte sur les bancs de l'Université des sciences islamiques d'El Azhar. Les convives, après un délicieux repas qui n'est point le couscous traditionnel, mais bien une variété de mets dignes des grands gastronomes modernes, ont continué jusqu'à l'aube les prêches, madih, iâmar, conférences et causeries. Toutes les voix approchées s'accordaient sur l'attachement aux valeurs ancestrales. Les valeurs authentiques. Ancestral pour ancestral, citons le docteur Mekki Abdelhak, cet expert en économie qui a sillonné le monde et côtoyé les sommités et les éminences grises de la planète et qui dit encore « Sidi » quand il cite son défunt père Hadj Abdelkader qui lui dit par jour triste et pluvieux : Mon fils, apprend à voir le cœur. Regarde autour de toi, l'œil humain n'est-il pas éphémère ? Le mot de la fin du Cheikh à propos de la bonne nourriture dans la zaouïa était : J'enseigne le Coran selon des méthodes modernes, pourquoi ne devrai-je pas m'aligner sur la gastronomie moderne ?