Chaque heure, chaque journée, chaque nuit passée dans les prisons françaises, enfante des flots d'atrocité aussi bien physiques, morales que psychiques. Par conséquent, relater tous les faits et méfaits subis par les prisonniers de la cause nationale de la part de leurs geôliers demande un temps indéterminé d'autant que certains aspects de l'histoire de par leur monstruosité sont tellement difficiles à reproduire non sans ressentir un profond désarroi et insupportable encore à ce jour. Les vicissitudes engendrées et les séquelles encore vierges dans notre corps, dans notre esprit, dans nos mémoires, le traumatisme incommensurable tend à persister, en ce sens, qu'il ne peut même pas se dissoudre ne serait-ce que progressivement …hélas. Aussi, la description des faits relatés ne peut en aucune manière refléter une haine quelconque, mais plutôt un sentiment de frustration et d'amertume d'une catégorie d'êtres humains à la merci d'une gente tellement maléfique et satanée que l'on doit, à mon sens, la comparer à des animaux carnivores et sanguinaires. Il est certain que le comportement inhumain de cette gente est un héritage acquis de la deuxième guerre mondiale durant laquelle les nazis ont fait subir à l'humanité toute entière les pires exactions, avec des nouvelles méthodes expérimentales utilisées par les occupants. En plus de ce comportement abject, la création de l'Organisation de l'Armée Secrète (O.A.S) va encore amplifier et accentuer les méthodes et moyens utilisés contre le peuple algérien. Cette organisation terroriste ayant pour objectif principal de mettre à feu et à sang le pays était composée de pieds-noirs les plus sanguinaires emprunts d'un inexorable racisme, car ils s'attaquaient essentiellement à tout ce qui symbolise l'algérien et l'arabe en général. Le pays étant à leur merci, du fait que l'armée française elle-même était infiltré, ils avaient la latitude de fomenter des plans et des atrocités les plus diaboliques. En outre, la lâcheté des éléments de cette organisation terroriste n'avait d'égal que la perfidie des actes commis principalement contre les faibles sans armes, inoffensifs et sans défense. Des crimes abominables, des destructions systématiques de tout ce qui se meut dans notre patrie sont quotidiennement programmés avec une minute et une tactique qui auraient pu inspirer les créateurs de la Gestapo Nazie. Le soulèvement d'un peuple Chaque évènement qui surgit affirmant la grandeur de la Nation Algérienne est soit minimisé soit occulté carrément par l'administration coloniale !!! C'est ainsi que le soulèvement du peuple algérien en octobre 1960 est considéré par les colonialistes comme évènement banal et par conséquent de moindre importance sur le déroulement de la situation politique. En fait, c'était un soulèvement qui va sonner le glas de l'occupation coloniale dans notre pays. Le colonialisme, durant son règne, a toujours était sourd aux cris de détresse d'un peuple déchiré par plus d'un siècle d'esclavage car étant un élève très mauvais qui ne retient aucune leçon que lui prodigue un peuple. Et pourtant… La démonstration de la grève générale déclenchée durant l'année 1956 aurait pu lui servir de « diagnostic » sur la façon d'appréhender la révolution algérienne. Car, n'en déplaise aux détracteurs de tous bords, le peuple algérien était et restera le modèle approprié pour toutes les justes causes à travers le monde. Le soulèvement d'octobre 1960 a été le catalyseur et le détonateur d'une série de victoires en plus de celles menées et réussies sure le terrain de combat sous la bannière de l'Armée de Libération National (ALN) et le Front de libération Nationale (FLN). Ainsi, tout le peuple algérien s'est soulevé tel un seul homme !!! Dans toutes les villes des manifestations sont spontanément et magistralement organisées. Des échos épars nous parvenaient par divers canaux de transmission que seuls les prisonniers en savaient le teneur pour en analyser le contenu ainsi que leur véracité. La population de la ville d'Oran, n'est naturellement pas en reste, puisque les cris de « Vive l'Algérie » parvenaient jusqu'aux alentours de la prison et se rapprochaient inexorablement. Nous étions alors, dans la cour qui nous est « allouée » pour les travaux de l'alfa que nous étions astreints à tisser. Nous nous sommes regroupés debout, tous ensemble et spontanément, nous entamâmes le chant des révolutionnaires très réputé « Mine Djibalina » (de nos montagnes s'est élevée la voix des braves qui nous appelle à l'indépendance). Il fallait agir… et vite… Aidé de mes compatriotes, je me hissai sur la terrasse attenante aux salles et cours. Pendant que tous les prisonniers scandaient « vive l'Algérie », en tournant en rond, dans les cours, j'apercevais au loin, très loin, le peuple oranais qui manifestait avec des drapeaux algériens ; j'avais le cœur revigoré et qui me donnait encore plus de force. Je sautais d'une terrasse à l'autre et poussais les autres prisonniers qui se soulevèrent en me voyant courir sur les terrasses. Toute la prison était en effervescence… !Je donnais ordre à tous les prisonniers de brûler l'alfa qui était entassée dans chaque cour. Ce qui fut fait instantanément d'ailleurs, la fumée qui montait de la prison fit avancer. La foule oranaise, qui en un laps de temps, avait cerné toute la prison, croyant sans doute au pire. Quelque temps après, l'armée française avec les CRS envahirent la prison pour disent-ils rétablir l'ordre. Une dizaine de CRS monta sur la terrasse et mit en joue le mutin que j'étais. Droit devant eux, j'enlevais ma chemise et torse nu, les bras levés, je criais « tirez bande de lâches » et je continuais les insultes en arabe. Mes compatriotes qui voyaient cette scène étaient figés, comme extasiés. Un autre CRS, celui qui me mettait en joue à moins de deux mètres de moi me dit « Si à trois ne tu descends pas, je tire ». J'entendrais le crépitement des armes pointées sur moi par les CRS prêts à tirer. J'étais encerclé par ces CRS qui se rapprochèrent doucement de moi de peur que je leur saute dessus. J'essayais de leur fuir… mais j'étais cerné de tous cotés. Finalement ils m'attrapèrent, je me débattais comme un forcené, rien n'y fait. Car, il faut dire que je prenais goût à la position de meneur ou fauteur de trouble que j'étais. Les CRS m'empoignèrent et me firent descendre dans la cour où mes compatriotes me prirent à bout de bras sur leurs épaules et reprenant de plus belle la manifestation. Il faut dire que nous étions les plus « turbulents » de la prison car notre salle était constituée de prisonniers qui aux yeux de l'administration pénitentiaire étaient les plus récalcitrants. Nos gardiens et les CRS toujours sur la terrasse, essayèrent de nous faire rentrer en salle. Ce que nous refusions et continuons à manifester de plus belle. Subitement, ils nous lancèrent du haut de la terrasse une première grenade lacrymogène, qui tomba prés de moi ; je la repris rapidement et je la leur relançai, mais elle retomba. En essayant de l'éloigner au fond de la cour, elle éclata entre mes jambes ; je reçus la goupille en pleins pieds. Le sang gicla de mon pied que j'essayais d'arrêter avec un mouchoir. Une deuxième puis une troisième grenade fut lancée sur nous. Il en sera de même dans toute la prison où les prisonniers reçurent sur leurs têtes une pluie de grenages lacrymogène. Les yeux en larmes, ne pouvant s'abriter nulle part, nous décidâmes de rentrer en salle. Nous étions quelque peu satisfaits car nous avions démontré que malgré notre position de prisonniers, nous restions toujours des braves, des héros et cela en toute circonstance. Nous leur avons donné une leçon d'abnégation, de courage et de bravoure qu'ils ne pourront jamais oublier. Malgré leur répression farouche, leur haine, leurs armes, le prisonnier révolutionnaire n'a jamais renié ses idéaux, ses principes et ses convictions. Les persécutions et les endurances ne peuvent venir à bout de la détermination que nous avions de faire face, sans aucun moyen matériel, sauf celui de mourir debout avec bravoure et honneur. Pourtant, bien avant nous, dans cette prison d'enfer, nos frères passés à la guillotine leur ont donné une leçon de bravoure et d'honneur à l'exemple du chahid Ahmed Zabana assassiné dans cette prison et bien d'autres. Pour contre carrer un tant soit peu, la pression qui s'exerçait sur les prisonniers par l'administration pénitentiaire, chaque salle devait avoir son comité de gestion. Ce comité avait pour tache d'établir l'ordre, la discipline, en somme gérer le quotidien des prisonniers. Mais l'administration pénitentiaire avait déjà mis en place dans chaque salle un prévôt. Ce dernier qui généralement était un condamné de droit commun, était chargé de surveiller les prisonniers et rendre compte à l'administration pénitentiaire, de tout ce qui touche à « l'ordre établi par cette dernière ». Mais généralement, ces prévôts, de droit commun, au bout d'un certain temps, s'aligneront automatiquement sur la ligne de conduite établie par les comités de salles issus des prisonniers politiques. A la tête de ces comités de salles se trouvait le comité directeur qui était à la salle 12 et présidé par le frère Zaghloul.L'administration pénitentiaire, après ce tour de force, savait très bien à quoi s'en tenir maintenant et que nous ne reculerons devant aucune exaction. Des pourparlers spontanés furent organisés au lendemain d'une grève de la faim générale trois jours et ce, à la suite d'une échauffourée dans le quartier des condamnés à mort avec des gardiens. A la suite de ces provocations répétées, nous exigeâmes à ce que seuls les gardiens musulmans qui exerçaient dans la prison pourront nous approcher et ce à partir de la première grille attenante au couloir des salles et cellules ; ce qui fut accordé, sous le regard médusé et furieux des autres gardiens pieds-noirs. Il en sera de même à la libre circulation des détenus à l'intérieur et à partir du couloir ; les prisonniers pouvaient visiter leurs parents et même permuter dans les salles, pourvu que le nombre soit conforme lors de l'appel qui se faisait chaque matin et chaque après-midi à la fermeture définitive des salles. Les repas furent améliorés et supervises par des compatriotes sachant que les cuisiniers, tous des prisonniers de droit commun, étaient totalement acquis à notre cause. C'est dans cette atmosphère de « semi-liberté » à l'intérieur de la prison même qu'un de nos frères détenu soudoya ces cuisiniers qui avaient la latitude de se mouvoir aisément dans toute la prison et put s'évader en utilisant un subterfuge tout à fait anodin. Tous les jours, les poubelles étaient sorties dans la grande cour et chargées dans un camion. Les cuisiniers cachèrent le frère Abdelouaheb dans une des ces poubelles, ajoutèrent des détritus et c'est ainsi qu'il s'est évadé. Mais au bout d'un certain temps, le compte n'était plus le même, chaque fois il manquait un détenu. L'administration pénitentiaire aidée d'un juge et d'un procureur commença à enquêter. De notre côté, nous continuons toujours à exiger le retour de notre compatriote disparu, l'administration, sachant pertinemment qu'il s'est évadé, voulait à tout prix savoir le moyen utilisé quant à son évasion. Ne pouvant tenir, le temps pressant pour faire avorter d'autres évasions, ils firent appel au CRS et une fouille minutieuse et générale fut organisée. Au cours de cette fouille, le frère dénommé Krouchtev, un vaillant combattant fut trouvé en possession de matériel entrain de creuser dans sa cellule pour essayer de fuir l'enfer. Le deuxième pot aux roses ayant été découvert, l'administration pénitentiaire s'acharna dans son enquête. Cinq frères, condamnés à morts, furent désignés pour discuter avec l'administration, le juge et le procureur. Ce comité était présidé par le frère Aoued Bendjebar, dit Sabri. Des réunions avec ces sanguinaires étaient quotidiennement programmées. Aoued Bendjebar, qui était avec moi à la prison de Mostaganem était un ancien comptable d'une usine de torréfaction à Relizane, un homme de corpulence chétive, de petite taille, très intellectuel, politisé et d'une éducation parfaite maniant le français avec dextérité, enfin une stratégie que l'école révolutionnaire a enfanté et aguerri. Brûlés vifs Il était avec moi à la prison à Mostaganem, à l'infirmerie en compagnie des frères Djeloul Benderdouche, pharmacien Mostaganem ainsi que Benchorfa Bouzid, un fadai courageux sans peur, torturé à mort lors de son arrestation, ce qui lui a value plusieurs maladies dont la plus grave était l'infarctus cardiaque. Nous avons comme tâche la comptabilité de la prison, tandis que le frère Benderdouch Djeloul en sa qualité pharmacien, était chargé de prodiguer des soins aux prisonniers en l'absence de médecin qui était toujours absent. Palisser, le directeur de la prison, un Corse d'une férocité atroce, d'un racisme inégalable, se plaisait à discuter avec Si Sabri, de politique, tout essayant de soutirer des renseignements susceptibles de les inclure dans un dossier, il lui dit un jour, entre autre « Sabri », il l'appelait de son nom de guerre) tu oublie qu'à Alger, il y a huit cent cinquante milles français qui y habitent, tu crois que ceux-là abandonneront Alger pour le remettre au FLN ? Le frère Sabri, en homme politisé et d'un ton convainquant : « He bien ! On bombardera Alger avec tous les français et on construira un autre Alger, une autre capitale indépendance ». Palisser, furieux rétorqua « Quoi le FLN fera ça ». Sabri « le FLN est prêt à tous les sacrifices pour conquérir notre indépendance palisser, fit demi-tour en maugréant et s'en alla méditer les belles paroles solennelles et jutes du frère Sabri. Aoued Bendjebar dit Sabri était un homme exceptionnel que la révolution algérienne a enfanté, façonné dans l'école du nationalisme. Le dernier jour où je l'ai aperçu, c'était lors de cette soi-disant enquête entamée par l'administration pénitentiaire, un juge et un procureur. Il passait menotté dans le couloir avec les quatre autres frères, eux aussi menottés. Par le hublot de la porte de la salle restée ouvert, je l'appelais ‘papa !!!(Car lui m'appelait fiston) qu'est-ce qu'il y a encore ?...tout en marchant, il me dit ce n'est rien, on revient et on discutera. C'était ses dernières paroles. Je ne le reverrai plus jamais. En effet, ce jour là tous ces cinq frères furent kidnappés. Embarqués dans des voitures banalisées, les ultras de l'O.A.S avec la complicité de l'administration pénitentiaire se dirigèrent vers un lieu désert au Canastel à Oran. Là, ils furent aspergés d'essence et brûlés vifs. L'atmosphère était intenable en prison. Nous nous avions compris que nos cinq frères ont disparu à jamais. La grève de la faim Nous eûmes vent par différents canaux, que nos frères responsables (Benbella- Boudiaf- Ait-Ahmed- Khider- Lachraf) arrêtés dans l'avion qui les emmenait du Maroc à Tunis et intercepté par l'armée coloniale et emprisonnés en France, ont entamé une grève de la faim illimitée. C'était à notre tour d'être solidaire de nos responsables. Nous décidâmes d'entamer nous aussi une grève de la faim illimitée. Des contacts rapides furent entrepris entre toutes les salles, le jour défini afin que ce mouvement soit spontané. Nous avons déjà pris nos dispositions ; chacun avait un rôle à jouer, nous avions prévu de renforcer la surveillance, multiplier les communications entre salles par le seul moyen qui nous restait à savoir se hisser aux fenêtres pour passer les messages à haute voix. Nous nous relayions pour faire boire de petites gorgées d'eau aux plus faibles d'entre- nous. Car il n'y avait que l'eau ! Au cinquième jour, nous ordonnons à tous nos frères de ne plus bouger et de rester sur la paillasse, d'éviter de boire car cela engendrera l'obligation d'aller aux toilettes et par là même perdre le peu d'énergie qui reste dans le corps. Au fils des jours qui passaient, nous étions comme des morts-vivants : aucun bruit dans la salle n'était perceptible, sauf celui de temps en, temps le déclic du hublot de la salle déclenché par un gardien pour nous surveiller comme d'habitude. D'ailleurs personne ne bougeait. De temps à autre, on imbibait notre bouche avec un peu d'eau. Au deuxième jour, l'ordre fut donné de rompre la grève. Nos cinq frères responsables, arrêtés en France ayant obtenu gain de cause, à savoir : être considérés en tant que prisonniers politiques et de ce fait, un régime en tant que tel, devrait leur être accordé car l'opinion internationale s'inquiétait de plus en plus déroulement des faits et méfaits de la France coloniale et perdait toute crédibilité malgré l'arrivée de Dégaule au pouvoir. Chacun de nous était méconnaissable, du fait que nos visages avaient complètement changé. Affaiblis, certains de nous déclinaient leur identité pour se faire connaître tant les douze jours de grève de la faim nous avaient tout à fait anéantis. Empoisonnement Le lendemain, les gardiens qui suivaient de très prés cette grève, ouvrirent la porte restée fermée durant douze jours. Nous prenons possession de la comporte de café. Quelques minutes plus tard, des cris nous parvenaient d'un peu partout. Nous prêtions attention ; nous saurons qu'il ne fallait pas prendre de café car il était empoisonné. En effet, avant d'ouvrir les salles, le système pénitentiaire voulait que toutes les comportes remplies de café alignées. Puis, une à une, chaque salle ; après avoir reçu sa comporte, est fermée et ainsi de suite. Les comportes étant alignées dans le couloir, devant chaque salle, les sanguinaires entreprirent d'y verser du DTT dans chacune d'elles. Nous crions à tous « ne buvez pas de café » Hélas, certains avaient déjà pris leur café et commençaient à tituber, d'autres s'affalaient carrément. Nous étions désemparés ! Tous les prisonniers hurlaient ! Certains seront admis à l'infirmerie, d'autres refusèrent et prirent leur mal en patience. Un plan machiavélique L'ignominie du colonialisme français dans notre pays n'a d'égal que la perfidie incarnée par ses promoteurs qui tout au long, de leur règne ne cessaient de « promouvoir » des atrocités ignobles et inhumaines. En cette nuit de cauchemar, et toujours sur le qui-vive, nous entendîmes des fracas des bruits inhabituels dans la prison. Le hublot de la porte de notre salle légèrement pivoté, on avait la possibilité de surveiller à tour de rôle, et le mouvement des gardiens, et le va-et-vient incessant, d'hommes cagoulés soit en civil, soit en treillis. A ce moment là, on savait que quelque malheur se tramait contre nous. Tous les prisonniers crièrent « Allah Akbar » afin d'alerter toutes les salles et les cellules. Quelques temps après, toujours par le hublot, nous voyions des voitures circuler dans le couloir et y déposer des bobonnes de gaz, et autres engins meurtriers. Par déduction, nous savions que les ultras de l'OAS aidés des gardiens s'étaient emparés de la prison et préparaient l'attentat le plus abject jamais connu dans l'humanité. Faire sauter la prison où se trouvaient enfermés plus de quatre milles prisonniers sans défense. Ayant compris le stratagème, nous ordonnâmes à tous nos frères de s'éloigner de la porte, d'entasser à l'arrière de la salle, toutes les paillasses et de s'y abriter comme ils pouvaient. Les cris d'Allah Akbar fusaient de partout, dans toute la prison. J'étais le seul debout entrain, soit de surveiller soit, d'ordonner à ceux qui bougeaient encore de se protéger un tant soit peu. L'effervescence était à son comble !!! Alors que certains s'étaient hissés aux fenêtres pour communiquer avec les autres salles, d'autres, plus vieux et donc vulnérables, s'étaient terrés derrière l'abreuvoir qui nous servait pour nos toilettes. Soudain, une déflagration inouïe retentit ! J'étais le seul debout. La porte de la salle, qui faisait des centaines de kilos vola en éclat et se précipita sur nous avec une force et une rapidité d'une feuille d'arbre qu'un vent violent balaie. Nous essayâmes de nous protéger à l'aide de paillasses ou carrément recroquevillés sur nous-mêmes pendant que d'autres détonations retentissaient sans discontinuité dans toute la prison. Malgré toutes ces précautions quoique superflues, le feu s'était répandu dans toute la prison. Une fumée suffocante nous enveloppa ! Je sautais sur une fenêtre pour respirer aussitôt un autre frère me rejoignit, ce qui nous permettait de hisser d'autres frères qui commençaient à suffoquer. Nous renouvelions cette opération plusieurs fois en faisant relayer nos frères. Soudain, un miracle se produisit : un vent assez fort s'était levé et commençait à balayer la fumée hors de la salle ! Après quelque temps de panique, nous constatâmes l'apocalypse autour de nous, une dizaine de nos frères gisaient ensanglantés au sol. Parmi eux, deux étaient déjà morts. L'un d'eux, Abdelkader a survécu à plusieurs guerres. Enrôlé de force dans l'armée française, il a participé à la guerre d'Indochine à la révolution Tunisienne et celle du Maroc. En rentrant en Algérie, il participa à la guerre de libération ; il fut arrêté les armes à la main et emprisonné avec nous, en cette prison d'Oran. Et c'est dans cette prison d'enfer, désarmé, qu'il mourut lâchement assassiné par la France pour laquelle il a combattu durant toute sa vie. Un silence de mort régnait dans la prison ! Ordre fut donne de rester cloîtrés dans nos salles, car, nous craignons que, les sanguinaires étaient toujours à l'affût pour abattre les survivants. De temps à autre, des gémissements fusaient de toutes les salles. Avec les moyens du bord, nous essayâmes, tant bien que mal de porter secours à nos blessés tandis que déjà, nous pleurions nos morts dans nos bras ! Quelque temps après, l'armée française et les CRS entrèrent dans la prison et constatèrent les dégâts alors qu'ils paraissaient déçus et confus car les auteurs de cet attentat ignoble, prévoyaient la démolition complète de la prison sur nos têtes et qu'ils ne espérant qu'il ne resterait aucun survivant ! Les morts, plus d'une vingtaine, ainsi que les blessés, plus d'une cinquantaine furent évacués à l'hôpital ou, malheureusement, ils seront poursuivis par les sanguinaires de l'OAS et achevés de sang froid sur leurs lits d'hôpital. Les survivants, furent cette nuit, malmenés et engouffrés dans des camions militaires, pieds et poings liés, accroupis, tête baissée. C'est a ce moment là que, traversant le couloir, je contait qu'un autre miracle s'était produit : en effet, les engins meurtriers, en éclatant, avaient sectionné les tuyaux d'eau tout au long du couloir ; l'eau qui coulait était entrain d'éteindre les flammes engendrées par les déflagrations et cela en plus du vent qui s'était levé subitement. Les camions pleins à craquer, de détenus, se rendirent à un camp militaire situé à Arcole, non loin de la ville d'Oran où les militaires nous désignèrent des tentes qui étaient déjà dressées. Ainsi, tout a été préparé minutieusement, pour éliminer définitivement, les prisonniers de guerre que nous étions mais traités comme des bêtes sauvages. Privés de correspondances et de parloirs depuis déjà bien longtemps, nos familles ignoraient notre sort.