Sortir de chez soi en ce début aout, sous un soleil de plomb, des lointains villages de Béni Ouartilane, de Bouandas, Boutaleb, de Babor et d'Ouled Tebben dans des bus brinquebalants, ou remonter des quartiers périphériques de la capitale des hauts plateaux et venir affronter la fournaise des boulevards de Sétif pour crier sa colère contre les symboles et les tenants du système corrompu, telle est la prouesse réalisée chaque vendredi depuis la période caniculaire particulièrement prononcée de cet été. Ce n'est plus, bien sûr, la grande foule des 10 à 20 000 personnes rassemblées lors des premières manifestations ou celle, mémorable, du 5 juillet. Ce vendredi 2 aout, le 24 ème du genre, ils n'étaient que près d'un millier de manifestants. Ils sont toujours aussi déterminés que pacifiques, avec en plus, la colère et la lassitude de n'être toujours pas suffisamment entendus. Celles-ci s'expriment de plus en plus dans les slogans déclamés ou chantés en chœur sous divers airs ou modes empruntés au terroir culturel très varié du pays. Le dernier né est celui de « Dezz mahoum » (traduit mot à mot « pousse avec eux »), bien sétifien, adressé à l'homme fort du régime. Scandé par des centaines de voix, cela prête même à rire. Et l'humour, une seconde nature chez les Algériens est toujours embusqué dans la foule des manifestants sous diverses expressions tel par exemple le balai auquel sont accrochés des bidons de détergent. Il y a aussi « Goulna arhlou, arhlou » (Nous vous avons dit de dégager, dégagez.) chanté et dansé frénétiquement sur le mode « ahellil » du Gourara qui rivalise avec le « manache habsine koul djemaa khardjine » (Nous ne sommes pas arrêtés, chaque vendredi nous sortirons). Tels qu'ils apparaissent depuis les premières marches de la contestation, les manifestants sont des gens ordinaires de tout âge, des hommes et des femmes, des chômeurs dignes dans leur détresse, des victimes de l'arbitraire, de la bureaucratie et de la corruption, des laissés pour compte, des vieux aigris par des décennies de mal-vie, des étudiants aux rêves ternis mais toujours de la combativité tenace. Nulle trace d'éléments des classes privilégiées et de clientèles habituelles du système. Celles-ci font profil bas et se sont effacées du radar. La composante du hirak est suffisamment représentative du peuple « d'en bas » méprisé et classé au rang de sujets redevables à la caste dirigeante. Celle-ci a pu le caresser par le passé dans le sens du poil par des discours populistes du genre « arfaa rassek ya ba » accompagnés de distribution de logements le temps d'une campagne électorale aux résultats connus d'avance. Et c'est justement ce que n'en veulent plus les manifestants en scandant clairement « makanche intikhabat maa el issabat » (pas d'élection en présence des gangs). Les deux précédentes tentatives de passer outre les revendications populaires ont été mises en échec avec une perte de temps dommageable pour la nation. La quasi totalité des revendications du mouvement de contestation portent en quintessence sur le même objet : le départ sans attente des symboles du système en faillite. Les contestataires considèrent que seules les modalités de ce départ sont négociables. Saura-t-on saisir clairement le message ? Hamoud ZITOUNI