Enfant abandonnée à sa naissance, pupille de l'Etat, Souheila D., 27 ans, une jeune femme au caractère bien "trempé" a pu, aujourd'hui, se reconstruire. L'affection, la protection et la sécurité qu'elle a reçue de sa famille d'accueil lui a permis de sortir indemne de son passé. Mieux, l'amour inconditionnel d'une mère adoptive qu'elle qualifie elle-même de formidable l'a aidé à prendre son destin en main, à se forger un caractère, à poursuivre des études supérieures et à oeuvrer à concrétiser son rêve celui de devenir magistrate. Ma mère adoptive, ma force, mon courage Gracieuse, les traits fins et d'un naturel très calme, Souheila, souriant timidement pour effacer la gêne qui la submerge lorsqu'elle évoque sa vie, confie que sa "mère", une nourrice des pupilles de l'Etat, l'a accueillie chez elle, à Constantine, quand elle avait trois mois. Elle s'empresse d'ajouter qu'à aucun moment de sa vie, elle ne s'est sentie étrangère dans la demeure qui l'a vue grandir. Etreinte par l'émotion, elle évoque "l'amour et la tendresse" qu'elle a reçues d'une maman adoptive "toujours à (ses) côtés quand (elle) avait des petits ennuis de santé ou lorsqu'(elle) était gagnée par la flemme". La mère adoptive de Souheila, divorcée, sans enfants, la soixantaine dépassée, a aussi élevé un garçon âgé aujourd'hui de 25 ans, brillant étudiant, et une autre fille qui vient d'atteindre ses 24 ans. "Elle nous a donné une famille, beaucoup d'amour et une protection que nos parents biologiques n'ont pas pu nous donner", affirme la jeune pupille de l'Etat, avouant que par moments les remarques des voisins de son âge sur ses origines la rendaient "perplexe", mais le sourire de sa mère adoptive, ses câlins la "rassuraient". Elle a toujours pensé que son père était décédé, comme le lui a affirmé sa mère adoptive. "A mon entrée au collège, devant le formulaire d'inscription dans lequel la case prévue pour le nom du père était restée vide, j'ai compris qui j'étais", raconte-elle d'une voix étranglée. "Je me suis recroquevillée sur moi-même, j'avais horriblement mal et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps", se souvint-elle avec émotion. Dans ces moments difficiles et délicats, sa mère adoptive, devinant son désarroi, a tout fait pour la secouer. "Elle me disait que je ne dois rien me reprocher, que je dois avancer, et que mes études et mon avenir sont la priorité", répète-t-elle. La jeune fille qui a suivi un cursus scolaire remarquable, trouva alors une raison d'être. "Ma mère adoptive m'a transmis sa force intérieure et sa détermination", dit-elle. En, 2007, elle décroche son baccalauréat et entame des études en droit. "L'atmosphère et le caractère solennel des tribunaux, de même que les plaidoiries et la belle éloquence des grands avocats représentent un monde qui m'a toujours fasciné", affirme la jeune fille avec un sourire qui illumine aussitôt son visage. "J'ai obtenu ma licence en droit, réussi mon concours du CAPA (certificat d'aptitude à la profession d'avocat), entamé mon stage d'avocate, tout en espérant décrocher le concours qui me permettra d'embrasser la carrière de magistrate", dit-elle d'un trait, retrouvant une faconde alimentée par son amour pour les "robes noires". Sensibiliser la société pour imposer un autre regard sur les enfants abandonnés Sereine sous l'aile protectrice d'une mère adoptive qui a contribué à son épanouissement et a su "amortir" le choc de l'isolement identitaire que vit chaque enfant abandonné, Souheila s'apprête à entamer avec beaucoup d'enthousiasme une carrière professionnelle sans doute prometteuse si l'on se fie à sa pugnacité. Elle raconte dans le détail, au bord de l'exaltation, son initiation, dans un cabinet d'avocat, aux différentes étapes d'un procès, au suivi d'une affaire, aux techniques de plaidoirie Concédant toutefois qu'elle a eu "beaucoup de chance par rapport à d'autres enfants privés de famille", Souheila affirme que la société doit "développer un autre regard sur les enfants né hors mariage". Et de poursuivre que si l'Etat "déploie beaucoup d'efforts en oeuvrant à prendre en charge cette catégorie sociale", la société civile a aussi "un rôle à jouer pour améliorer les choses". Un enfant né sous X est "un citoyen à part entière et n'est pas responsable des conditions dans lesquelles il est venu au monde", dit-elle, le menton haut. "Il y a quelques années, lorsque j'allais à la commune pour le faire délivrer un extrait d'acte de naissance, c'était un vrai moment d'angoisse (à) le regard que levait sur moi le préposé au guichet de l'état-civil, lorsqu'il lisait la mention +pupille de l'Etat+ me glaçait" se remémore-elle. Aujourd'hui, la future avocate soutient avoir développé "assez de force de caractère" pour aller se faire délivrer ses documents administratifs sans aucune honte. Visiblement, ses études lui ont donné confiance en elle. "Mon ambition me donne des ailes pour avancer", lance-elle le regard chargé de défi. ( Moza Daghiche)