La célébration de Yennayer (nouvel an Amazigh) à Tipasa, va de paire, dans l'esprit de la population locale, avec la préparation des " Kouirate ", un plat " spécial Yennayer" très prisé dans la région agrémenté de gâteaux pour augurer d'une année douce et prospère. En effet, les "Kouirate", connues en Kabylie sous le nom de "Tikerbabine" demeure à ce jour le plat d'excellence pour accueillir le nouvel an Amazigh à Tipasa, un plat dont les familles tiennent coûte que coûte à préserver la tradition, héritée des ancêtres, avant d'entamer, comme le souhaite Abdelkader Bouchlaghem, producteur radiophonique et spécialiste du patrimoine local, une "nouvelle année de prospérité, de joie et de bonnes choses". Les "Kouirate", sont un plat préparé à base de semoule mélangée à des plantes aromatiques diverses, dont le fenouil, le thym, et la menthe pouliot, entre autres, qui sont finement hachées, avec de l'ail et de l'oignon, également hachés et épicés, avant de mélanger le tout et en confectionner de petites boulettes. Pour la population locale, ce plat traditionnel, fait essentiellement de semoule et d'herbes, est le reflet vivant de l'esprit de la célébration de Yennayer, car exprimant la relation profonde liant les Amazighs à la terre et à l'agriculture. Si l'enseignement de la langue Tamazight à Tipasa n'a pas " enregistré l'engouement souhaité", il n'en demeure pas moins que les familles de la région ont préservé le parler amazigh à Tipasa, à Chenoua, à El Beldj, jusqu'à certaines régions de Cherchell, et tout au long du littoral Ouest, de Sidi Ghiles à Damous, et vers le Sud à Sidi Amar et Menacer. La préservation de la langue est allée de paire avec la perpétuation des us et coutumes immémoriales, dont les " Kouirates" constituent, à ce jour, le dénominateur commun, entre les différentes régions de la wilaya. -Les marchés s'apprêtent à accueillir Yennayer- Yennayer, c'est aussi la fête au marché, à l'image du marché populaire de Cherchell, dont les ruelles exigües se sont apprêtées pour l'occasion, grâce aux commerçants de la place, qui ont redoublé d'ingéniosité pour achalander leurs étals, où trônent majestueusement des " pyramides" de fruits secs et friandises (Draz), et autres herbes aromatiques fraîches nécessaires pour les " Kouirate ", lesquelles confèrent véritablement aux rues une " bonne odeur de Yennayer ". Un "Yennayer" dont le rendez-vous est renouvelé annuellement par la population locale "pour transmettre le legs des anciens aux nouvelles générations", selon l'expression d'une dame rencontrée sur place par l'APS. "Pour cette occasion, je tiens toujours à me faire accompagner par mes enfants afin de les imprégner de cette belle ambiance qui a fait les joies de mon enfance. C'est comme quand j'étais avec ma mère, même si l'ambiance de jadis a quelque peu changé dans les villes", a- t-elle souligné, à ce propos. Un avis partagé par une autre dame qui a estimé que les difficultés de la vie dans les villes occupent les familles de manière à les rendre négligentes dans d'autres choses, "mais cela ne nous fera jamais oublier les Kouirate", a-t-elle assuré, la mine joyeuse. -La grand mère, pilier des festivités de Yennayer - Les grands-mères ont toujours été à la base des festivités de Yennayer à Chenoua, en constituant le "pilier" autour duquel se réunit la famille, dont les petits enfants notamment, pour écouter les légendes et histoires d'antan, après avoir dégusté un succulent plat de " Kouirate " au Berkoukes et au poulet. Selon la tradition locale, à quelques jours avant Yennayer, les familles de la région font repeindre leurs maisons, parallèlement à l'achat de nouveaux ustensiles en terre cuite (poterie), afin d'augurer d'une nouvelle année "pleine de bonnes choses" pour toute la famille. Les enfants sont également un élément central de cette célébration, car représentant l'avenir. Ils sont de fait gâtés avec un plateau plein de friandises et fruits secs, pour leur souhaiter un avenir prospère. Il est, également, recommandé de sacrifier un poulet fermier pour préparer le Berboukes accompagnant les Kouirate, en y ajoutant différents légumes secs et herbes, parallèlement à la préparation de beignets au miel, sensés apporter de la douceur à la nouvelle année, tout en éloignant les forces du mal. -La célébration de Yennayer à Chenoua, une manière de se singulariser- Durant la colonisation française, la population de Tipasa et les habitants de Chenoua de façon particulière se faisaient un point d'honneur de célèbrer Yennayer, le 12 janvier de chaque année, en guise de résistance contre l'occupation française, démontrant ainsi leur particularité par rapport à l'occupant, dont ils "boycottaient" les fêtes de fin d'année grégorienne, selon les propos recueillis auprès de Abdelkader Bouchlaghem. Ainsi, le nouvel an Amazigh constituait, pour la population autochtone, une occasion pour "affirmer son identité", et "marquer sa résistance" contre les pratiques assimilationnistes de la France visant l'étouffement de leur identité culturelle, a-t-il ajouté.