L'auteur Hamid Grine vient de publier un nouveau roman intitulé Le Café de Gide aux Editions Alpha l Une pause-café des délices à Biskra Par Yazid Sahraoui(*) Rarement un livre ne m'a autant secoué aux tripes et au cœur. Quand je l'ai terminé, j'avais envie de pleurer. L'incroyable, c'est que je ne savais pas d'où provenait cette émotion ; sans doute de cette ambiance d'une autre Algérie que le roman décrit dans un style superbe. Pas un mot de trop, pas un adjectif inapproprié. Je dirais que le style de Grine a la sveltesse des mannequins : pas de gras, que du muscle et des os. pourquoi je parle en introduction du style ? Parce que sans style, un roman est illisible. Et ce qui fait la force du café, c'est justement ce style narratif entraînant. On lit une ligne, on a envie de lire une seconde, puis une troisième, et puis on est scotché jusqu'au bout de l'histoire. Et là, on en redemande, on est presque déçu que l'histoire se termine au bout de 160 pages. On aurait tant aimé qu'elle dure plus. Je pense qu'au-delà de l'intrigue sur laquelle je vais revenir, la force de Grine est de savoir attraper le lecteur dès les premières lignes. Je pense que cette méthode est héritée du journalisme. Tous les grands journalistes savent dès les premières lignes comment ferrer le poisson. Le Café de Gide est d'abord un roman sur le temps qui passe. Voici Azzouz, un jeune collégien qui se morfond dans le Biskra des années soixante. il n'a aucun loisir, ni filles à draguer ni loisirs, la dèche dans cette ville du sud perdue entre le nord et le sud. Pas de télé, à peine la radio, les journaux arrivent avec 24 heures de retard. pour tuer le temps, ou se faire tuer par le temps - en fait tout dépend de l'angle d'approche - Azzouz s'accroche à Hugo, Lamartine et d'autres poètes romantiques. Et soudain, au détour d'un cour de la belle Madame Varenne, sa prof de français, il découvre qu'un prix Nobel a séjourné à Biskra. Son nom : André Gide. Du coup, voilà sa ville valorisée. Il pensait que Biskra était un trou perdu dans le sud, voilà qu'elle se pare de toutes les beautés puisque André Gide l'a aimée. Mieux, il a parlé d'elle dans ses livres. Azzouz se met alors à la recherche des traces de Gide. Surprise : Omar, son camarade et meilleur ami, lui apprend que son père avait connu Gide en 1903. Azzouz rencontre le père, le vieux Aïssa, qui le fait marcher sur les lieux gidiens : jardin Landon, palmeraie Ouardi et bien entendu le fameux café de Gide. Azzouz découvre une autre Biskra qu'il ignorait. Hélas, le père de son ami tombe malade et Azzouz quitte Biskra pour Alger. En étudiant la vie et l'œuvre de Gide, il découvre sa pédérastie. Et voilà une question qui surgit : le vieux Aïssa qui a connu Gide alors qu'il avait à peine 12 ou 13 ans, a-t-il été ou non son giton ? Question sans réponse ? Quarante ans plus tard, Azzouz reçoit un coup de fil de Biskra, c'est son ami Omar qui l'appelle. Il lui confie que son défunt père a laissé un document capital sur Gide, et voilà Azzouz qui repart de nouveau à Biskra pour retrouver Gide et Aïssa. Il ira de découverte en découverte au fil d'une quête palpitante. Le Biskra qu'il découvre n'est plus qu'une succession de cubes, une ville qui a perdu son charme désuet des années post-indépendance. Ce roman qui se lit d'une traite inaugure peut-être un tournant dans l'écriture des écrivains algériens : du rôle de raconteur d'histoires, ils prennent le parti d'un parti : celui d'un regard critique sur la gestion de la chose publique, regard non dénué de tendresse, mais regard sévère sur les autres et sur nous-mêmes. Grine a fait sien le fameux proverbe : « Avant de regarder la bosse des autres, regardons d'abord notre propre bosse ». Un délicieux arôme que ce café de Gide qui nous réconcilie avec l'écriture romanesque. (*)Universitaire