La construction annoncée de 25 postes frontaliers de surveillance va-t-elle freiner le phénomène? Pas moins de 540 litres de gasoil contenus dans 22 jerrycans ont été abandonnés aux frontières est et ouest du pays au cours de la seule journée de dimanche par des contrebandiers. Cet abandon, au demeurant coutumier, témoigne du niveau du trafic de carburants qui s'élève en moyenne à quelque 3500 litres/semaine. Pour le mois et l'année, faites le calcul! Ces chiffres éloquents, communiqués par les services de la gendarmerie, énumèrent une récupération, entre autres, par les gardes-frontières de Magoura, de 12 jerrycans d'une contenance globale de 360 litres de mazout abandonnés par les contrebandiers. Le communiqué fait état, par ailleurs, de la récupération, par les gardes de Boukanoune et Sidi Boudjenanne, de 6 jerrycans contenant un total de 100 litres de gasoil, également abandonnés et remis à la brigade de gendarmerie de Bab El Assa. A ceux-ci, s'ajoutent, selon le même communiqué, la récupération dans la wilaya de Souk Ahras (est du pays) de 4 autres jerrycans de 20 litres chacun (80 l) par les gardes-frontières de Bournane qui les ont remis à la brigade de Merahma. Pour le premier semestre 2006, les douanes ont saisi plus de 220.000 litres de carburants, dont plus de 193.000 litres de gasoil et près de 27.000 litres d'essence. La valeur de cette marchandise est estimée à quelque 4,1 millions de dinars, au niveau de toutes les frontières du pays. Il faut dire que la hausse des prix des produits pétroliers, décrétée récemment par le gouvernement marocain, creuse davantage l'écart entre les prix avec ceux pratiqués en Algérie et donne un coup de fouet à une contrebande qui prospère aux frontières. Cette saignée, rémunératrice pour les barons, (binationaux, dirions-nous), puise sa sève nourricière dans un produit subventionné par l'Etat, secteur juteux pour la mafia des barons qui agit en bivalence des deux côtés de la frontière. Il vient remplacer les innombrables produits que l'Etat subventionnait, comme le lait en poudre, ou d'autres encore, peu coûteux de ce côté-ci de la frontière, comme les cosmétiques, les médicaments, le cheptel... Pour mieux sécuriser la frontière entre l'Algérie et le Maroc, longue de plusieurs dizaines de kilomètres, et lutter plus efficacement contre la contrebande, le gouvernement prévoit de réaliser 25 postes de contrôle douaniers tout au long de la bande frontalière pour la seule wilaya de Tlemcen. L'annonce a été faite en début septembre par le directeur général des Douanes, M.Abdelkader Bouderbala, en visite de travail et d'inspection dans cette wilaya. Le patron des Douanes algériennes, qui s'est déplacé à Aïn Témouchent et à Tlemcen 24 heures après l'entrée en vigueur de la décision de l'augmentation des prix du carburant au Maroc, a déclaré que la douane a décidé d'intensifier le contrôle sur le trafic du carburant en mettant en place des mécanismes modernes pour faire face aux techniques de plus en plus «sophistiquées» utilisées par les réseaux de trafiquants. Les 25 postes de contrôle, dont la réalisation et la réception sont prévues pour 2007, seront dotés de moyens technologiques modernes de communication et de transmission de renseignements rapides. Véritable passoire, la frontière ouest bat tous les records en matière de saisies en carburants mais aussi surtout en kif, psychotropes, produits alimentaires, cigarettes... Un «commerce» rentable Les bilans des saisies communiqués régulièrement par les services de gendarmerie, douanes et de police, sont révélateurs de l'ampleur du phénomène. Le marché du carburant au Maroc commercialise 45% de mazout, sachant que le gas-oil algérien faisant l'objet de contrebande constitue plus de 50% de la consommation de carburant au Royaume chérifien. Les stations-service du nord-ouest à celles extrêmes, à savoir Marsat Ben Mhidi et Zouia en passant par Bab El Assa, Souani et Maghnia, connaissent un afflux de citoyens de tout bord au volant de voitures munies de réservoirs à grande capacité. Ils font le plein plusieurs fois par jour, ce qui leur rapporte un bénéfice substantiel qui peut aller jusqu'à 20.000 DA/jour. Les contrebandiers utilisent mille et un subterfuges pour transporter la plus grande quantité de carburant par voyage et les exemples de «ruses», souvent débusquées par la douane, sont légion. Cela va de l'utilisation de tout le plancher d'un fourgon comme réservoir, et ce, en roulant en sirghaz. L'important profit qu'engendre le trafic de carburant qui sévit, voilà 20 années dans ces régions, attire et séduit de plus en plus d'adeptes. Au détriment d'autres secteurs, grands demandeurs de main-d´oeuvre, les jeunes et moins jeunes oisifs, commerçants et autres fonctionnaires de la région se sont adonnés à ce trafic «lucratif» alors que la région connaît une nouvelle vague de personnes alléchées par le gain facile. «Deux pleins par soir me suffisent pour toucher presque le double de mon salaire», se targue un fonctionnaire amateur de ce trafic. L'honnête citoyen continue, lui, à subir les affres du «manque» de carburant dans les régions frontalières à l'ouest comme à l'est. Tel est le résultat fort négatif de la contrebande, laquelle ne cesse de prendre de plus en plus d'ampleur devenant une réelle menace pour l'économie du pays. Malgré le nombre important de stations-service que compte la région frontalière ouest (9 au niveau de la seule daïra de Maghnia), l'honnête automobiliste est embarrassé à chaque fois qu'il veut s'approvisionner devant des files interminables de voitures dont les réservoirs sont à grande capacité ou carrément modifiés pour contenir, dans certains cas, 1000 litres de carburant. Un ras-le-bol évident se dégage chez l'honnête citoyen qui se sent dépourvu de moyens de lutte contre ce fléau qui l'importune et qui le met en danger, comme le cas cité par les habitants de quartiers où des individus se sont improvisés «vendeurs de carburant» dans leurs propres maisons, mettant ainsi en péril toute une population en cas d'accident, et c'est déjà arrivé à quatre reprises, dans lesquels on déplore 5 décès. Moult personnes s'adonnent à cette activité dans les régions frontalières. «Malgré des opportunités de travail, j'ai préféré patienter pour décrocher un poste de pompiste», avoue cet ingénieur pour lequel ce poste est de loin plus rémunérateur que celui relevant de ses études payées par l'Etat. A dos d'âne Ce sont aussi des milliers de litres de carburant qui traversent quotidiennement la frontière, à dos d'âne vers le Maroc à travers monts et vaux qui, ensuite, sont troqués au meilleur des cas contre des oranges refusées à l'exportation ou des boîtes de sardines ou de thon de qualité douteuse ou pour le moins, médiocre. A propos de «plein» douteux, on cite cette Clio qui a été appréhendée transportant 540 litres! Lors d'un contrôle, les éléments de la police ont arrêté un individu dont le véhicule peut contenir 1000 litres, une quantité faramineuse qui gêne énormément le reste des automobilistes normaux lors de leurs approvisionnements. La dite station a ainsi été fermée sur décision du wali pour un mois, et ce, pour lui avoir permis de remplir toute cette quantité. D'autres stratagèmes sont utilisés tels que le refus par des propriétaires de stations-service de servir l'honnête citoyen en prétextant qu'il ne reste plus de carburant. Le bilan est, on ne peut plus criant, avec la saisie de plus de 25.000 litres de carburant, 150 véhicules saisis et 300 personnes présentées à la justice durant l'année en cours.