Propos recueillis par Yacine Farah Par ces temps de crises et d'incertitudes généralisées, ne pensez-vous pas que l'humour pourrait être un moyen pour balayer les inquiétudes ? Tous ceux qui font de l'humour aimeraient bien croire à cela. En général, il se dit que les films de comédie ont tendance à bien marcher lorsque les gens n'ont pas envie de rigoler. Mais est-ce que l'humour à lui seul suffit ? Je ne sais pas. J'ai l'impression que c'est un des aspects qui peut détendre l'atmosphère, mais je ne crois pas qu'on puisse arriver à régler tous les problèmes qu'on vit aujourd'hui. Lorsque je suis sur scène, je n'ai pas l'impression de lancer des messages, je prends juste l'humour comme un moyen d'expression. J'ai toujours fait ainsi, y compris dans ma propre famille, lorsqu'il fallait éviter « la correction » de mon père. De mon point de vue, l'humour ne peut pas être un moyen d'expression politique. Regardez Coluche lorsqu'il a essayé de faire cela. Résultat : on lui a pratiquement tout interdit. Il avait une telle pression sur le dos qu'il a dû renoncer à l'idée de se présenter à l'élection présidentielle en 1981. Je pense que la politique et l'humour sont deux choses distinctes. Il ne faut pas donc se donner trop d'importance. Avec 20 millions d'entrées, le film Bienvenue chez les Chti's est considéré comme la plus grosse production française de tous les temps. Que représente pour vous ce succès ? Y a-t-il un avant et un après Chti's ? C'est un succès colossal qui a défié les lois du cinéma. Il n'est jamais arrivé qu'un film français fasse plus de 20 millions d'entrées. Forcément donc pour moi, il y a un avant et un après Chti's. Certes, avant, certaines personnes me reconnaissaient dans la rue, grâce à mes anciens films et comédies. Maintenant, je suis reconnu par tout le monde. Du balayeur au chef d'entreprise, de l'enfant de la maternelle au lycéen… Bref, tout le monde m'accoste et cela change forcément la perception de la vie. Pour moi, en revanche, cela ne change rien. Mon comportement est toujours le même. Je garde les pieds sur terre. Je mène une vie normale, j'élève mon enfant et j'ai deux frères et une sœur qui me rappellent souvent que je suis comme tout le monde. Bien entendu, le regard des autres a changé. Les professionnels du cinéma me considèrent désormais incontournable. En même temps, moi aussi je peux dire que j'ai joué le rôle principal dans un film qui a fait 20 millions d'entrées en France. C'est une fierté. Justement, au regard de ce succès phénoménal, ne craignez-vous pas que la suite de votre carrière ne soit un peu plus dure ? Oui. Je sais que je ne revivrai jamais cela. En même temps, il ne faut pas que je sois déçu si mon prochain film fait juste 10 millions d'entrées. Ce serait déjà énorme. Le marché du cinéma évolue beaucoup. Les gens ne vont pas trop voir les films car ils sont confrontés à d'autres problèmes qui touchent à leur vie quotidienne. Cela dit, je continue toujours à faire mon travail avec sérieux et enthousiasme. Après Bienvenus chez les Chti's, pensez-vous aborder un autre thème susceptible lui aussi de toucher un maximum de gens, comme la discrimination, la misère, la solitude ou autres.. ? Oui. Actuellement, je travaille sur l'identité ; un thème auquel je suis très sensible et qui me tient à cœur. C'est un film qui montrera comment plusieurs personnes en France, issues souvent de l'immigration, se voient obligées de cacher leur véritable identité, rien que pour trouver un travail ou louer un appartement. Ce sujet me touche énormément, d'une part par rapport à mon histoire et, d'autre part, par rapport à celle de mon père notamment qui raconte à présent facilement son vécu d'antan. Avant, mon père n'aimait pas attirer les regards sur lui de crainte d'être désigné comme un étranger, un Arabe. Aujourd'hui, on revendique beaucoup plus sa nationalité d'origine, même si la plupart des jeunes n'ont pas mis les pieds en Algérie. Le film sur l'identité va toucher les deux rives. Dans l'imaginaire du Sud, l'humour tient une grande place. Que doit Kad Merad à ses origines algériennes dans ce domaine précis ? Je suis issu des deux côtés. Mais j'ai toujours tendance à penser que l'humour et la joie de vivre viennent de mon côté algérien. Je me rappelle de mes vacances à Ouled Mimoun, proche de Tlemcen, avec les sons de la derbouka et de la musique. Mon père est trop drôle et c'est toujours la fête chez nous. En Algérie, on prend tout avec humour, les mariages, les réunions de famille, tout cela procure de la joie. En France, hormis la fête de Noël, les gens et les familles ne se voient pas tellement. Je suis fier de mon côté algérien et je ne m'en cache pas du tout. Comment avez-vous vécu la décennie noire que l'Algérie a traversée ? Etiez-vous à l'écoute de ce qui se passait de l'autre côté de la Méditerranée ? Je pensais souvent à ma famille. J'avais régulièrement des nouvelles tristes de ma tante et de mon oncle. Ils se faisaient arrêter tout le temps par des barrages routiers. On ne savait pas s'ils étaient vrais ou faux. Je voyais mon père triste. Il ne pouvait pas se rendre en Algérie. Donc, on était complètement coupé. Ce qui m'a sauvé, c'est de ne pas avoir vécu là-bas et d'avoir gardé en mémoire des moments de vacances inoubliables et heureux. Issu d'un père immigré, avez-vous souffert de la discrimination en France ? Très peu honnêtement. C'est peut-être dû à mon physique qui n'est pas trop typé arabe. Mais quand je déclinais mon nom, je sentais tout de même chez mon interlocuteur un changement d'attitude, une sorte de gène. C'est terrible. Personnellement, je n'ai jamais pensé vivre cela et que ces histoires appartenaient à la génération de mon père, hélas, non. Avez-vous un message à passer aux Algériens par le biais des colonnes d'El Watan ? J'espère que mes compatriotes suivent un peu ce que je fais ici en France et qu'ils sentent vraiment que je suis un franco-algérien jusqu'au bout des ongles. J'espère aussi qu'ils sont assez fiers qu'il y ait un représentant à moitié de leur pays qui brille quelque part et qui n'hésite pas à mettre en avant ses racines. Je viendrai à coup sûr en Algérie présenter un des mes travaux. Ce sera peut-être le film sur l'identité une fois terminé. Je n'ai rien à régler avec personne, je ne suis pas un porte-drapeau, mais un clown, un acteur. Enfin, permettez-moi d'embrasser ma famille et de lui dire que je viendrai prochainement, histoire de voir un peu le pays. (Bureau de Paris) Repères : Son vrai nom est Kaddour Merad. Il est né le 27 mars 1964 à Sidi-Bel-Abbès où il a vécu jusqu'à l'âge de trois ans. En France, il obtient son bac mais abandonne ses études de commerce. Comédien, humoriste et scénariste, il a défrayé la chronique en France grâce au rôle principal dans le film Bienvenus chez les Cht'is. Une grosse production cinématographique qui a fait 20 millions d'entrées en France. Depuis, le fils de Sidi Bel Abbes est devenu la star incontournable du cinéma français et international. Les grands médias du monde se l'arrachent et les producteurs l'engagent sans compter. Agê de 43 ans, Kad Merad a débuté comme batteur dans un groupe de musique avant de se diriger vers le théâtre où il interprète des pièces classiques. A partir de 1990, il intègre la radio de jeunes avant d'animer ensuite des émissions de divertissement sur des chaînes câblées. Il obtiendra son premier succès en 2003 grâce au film Mais qui a tué Pamela Rose ? En 2007, il reçoit le César du meilleur acteur dans un second rôle pour sa performance dans le long métrage Je vais bien, ne t'en fais pas de Philippe Lioret. En 2008, il incarne le rôle de Philippe Abrams dans Bienvenus chez les Chti's. Le film a battu le record en termes d'entrées dans toute l'histoire du cinéma français. Le 14 juillet, répondant à l'invitation du président Sarkozy, Kad Merad lit des extraits du préambule de la déclaration universelle des droits de l'homme devant plus de 40 chefs d'état étrangers.