« Tout n'est qu'épreuve sous l'oeil nomade desvents ». M.Alloula,1984. Après des débuts à Oran, Malek Alloula achève sa formation graduante à Alger. Il participe alors à l'expérience poétique engagée dans le cadre de la revue marocaine Souffle et publie en 1969 un recueil de poésie à Rabat, Villes, Atlante. Subitement, en 1968, et sans doute après la fameuse conférence de Kateb Yacine haranguant les intellectuels et étudiants et leur demandant de résister à l'oppression et de défendre les libertés démocratiques, Malek Alloula est bouleversé par cette mise en accusation que dresse Kateb contre le conformisme et la médiocrité. Il rompt les amarres, tourne le dos à une carrière universitaire qui s'annonçait brillante et prometteuse, et choisit de suivre le Numide nomade, le keblouti irréductible et impénitent sur le front libertaire, et de vivre à son tour l'aventure rocambolesque du poète maudit errant et iconoclaste porteur du virus de la modernité sur le bateau ivre d'Arthur Rimbaud. Bien que de formation littéraire, Alloula s'intègre dans cette décennie 1960-1970 au jeune groupe d'universitaires qui se constitue autour du philosophe français Etienne Balibar à l'Ecole normale supérieure d'Alger. Fort curieux de nouveautés et de philosophie pratique, le poète retient en lui et au plus profond de son être ce caractère particulièrement séditieux et rebelle hérité de l'anarchie atavique des Numides et des Maures. Passionné par le siècle des Lumières et surtout par ses philosophes anticolonialistes et libertaires, à l'instar de Denis Diderot, le Marquis de Sade, le baron d'Holbach, il transforme ses recherches et ses spéculations intellectuelles en errance, en transhumance et en nomadisme à la recherche des lieux sculptés et marqués par la mémoire dissidente en perpétuelle révolte pour que le rêve se réalise et se transforme en réalité, et non en cauchemar et en cimetière du génie humain. Une longue maturation de vie débridée, insolite et délibérément surréaliste qu'il mène alors à Paris entre le célèbre café Procope de la rue Danton et le café le Saint-Claude sur le boulevard Saint-Germain, en face de l'église de Saint-Germain donnant sur une placette où veille, imposante et majestueuse, la statue du plus grand philosophe de la liberté et de l'amour, Denis Diderot. Il faudra attendre 1979, pour qu'un premier recueil de poèmes paraisse chez Christian Bourgois à Paris sous le titre Villes et autres lieux, puis 1982, pour que Malek concrétise ses projets de divagations poétiques en un recueil sous le litre évocateur et provocateur Rêveurs/ Sépultures (Sindbad, Paris). Santa-Cruz Mesures du vent, recueil de poèmes publié en 1984 (Sindbad, Paris) est un ensemble de poèmes répartis sur six mesures articulant des poèmes qui expriment cet éternel « désir d'exil, d'exode ou de mort ». Ce choix thématique nous met en présence d'un souffle poétique libertaire qui soumet les âmes à « l'abrasion » et les corps à la calcination. Les mots du poème sont insupportables malgré l'extrême économie qui met en valeur leur consomption qu'attise l'œil torve du Faucon de Santa-Cruz qui dispute au Vautour du Nadhor « les ossuaires à fleur de pierrailles des ergs du souvenir de la steppe, ces terres très minces prises au rebours d'une dissipation », cette steppe occidentale parcourue autrefois par le barde Mouamed Belkhir ou ces vallées profondes des Aurès sillonnées par Keblout, le légendaire résistant et ses descendants les mnafguis Azelmat Messaoud puis Mohamed ballotés par « les vents du Sud ». Malek Alloula est avant tout un poète, un poète révolutionnaire et vigilant. Universitaire averti, il connaît assez la portée de l'écriture romanesque pour s'en méfier. Pour lui, le roman doit être porteur de projet séditieux, ou ne pas être, le roman doit toujours obliger le lecteur et surtout l'auteur romancier à la vigilance, faute de quoi, il devient un indicateur pour ethnologue et analyste des structures de l'imaginaire. Ecrire un roman, c'est selon lui, avoir constamment à l'esprit de dire « le grand branle de la terre » comme le rappellera souvent Jacques le fataliste. C'est pourquoi, Malek Alloula préfère de loin la poésie. Un soir de saison de nostalgie et de mélancolie baudelairienne, roulant des conversations au Saint-Claude, il devait sur les coups de deux heures confier, à un groupe d'amis réunis à l'occasion de la sortie de son magnifique ouvrage Le Harem colonial chez Slatkine (1984) qu'écrire ne saurait se faire que comme le faisaient les aèdes de la Méditerranée ou se taire. Car pour Malek, les romanciers roulent toujours plus ou moins pour les ethnologues, alors que les poètes revivifient continuellement le souffle de Prométhée avec cette revendication libertaire totale et permanente comme un souffle de vent ininterrompu. La poésie est le premier souffle, les autres genres en dérivent avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de réussite mais jamais autant de majesté. Ainsi Kateb n'aura écrit qu'un seul roman. Malek Alloula, Mesures du vent, poèmes, Sindbad, Paris, 1984, 88 pages.