Comme il fallait s'y attendre, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Egyptien Mohamed El Baradei, a quitté Tel-Aviv sans grand résultat à l'issue des discussions qu'il a eues avec les responsables israéliens sur la « dénucléarisation de la région du Proche-Orient. » Après l'entrevue avec Ariel Sharon, il est reparti avec l'intime conviction que les Israéliens ne reculeraient en rien et qu'ils maintiendraient l'ambiguïté sur leur programme nucléaire et sur leurs réelles ambitions quant à leur arsenal stratégique. D'ailleurs, à la veille de la visite du chef de l'AIEA à Tel-Aviv, le Premier ministre israélien a laissé entendre que son pays disposait de l'arme nucléaire puisqu'il a commenté la visite d'El Baradei en disant qu'il ne savait ce que ce dernier venait voir en Israël, mais que de toutes les manières Tel Aviv « était obligé de détenir entre ses propres mains toutes les composantes de la force nécessaire à sa défense. » Et de poursuivre que son pays « entendait maintenir sa politique d'ambiguité sur le nucléaire qui a fait ses preuves. » En d'autres termes, Israël n'est pas prêt à renoncer à son programme nucléaire lancé depuis les années 1950. La visite de Mohamed El Baradei en Israël s'apparente beaucoup plus à une visite-alibi, au moment où les pressions des Américains et des Européens sur l'Iran, relayées en cela par l'AIEA pour l'amener à renoncer à son programme nucléaire, deviennent de plus en plus persistantes depuis l'annonce par Téhéran de la reprise de la fabrication de centrifugeuses, ce qui devrait selon les spécialistes lui ouvrir les portes à la fabrication de l'uranium enrichi. Cette fabrication devait être officiellement suspendue en octobre 2003 à l'issue d'un accord à Téhéran avec trois pays européens en échange de quoi la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne devaient faire en sorte que la question du développement nucléaire iranien soit retirée de l'ordre du jour de l'assemblée de l'AIEA dernier dans lequel il figure sous la pression américaine. D'ailleurs, depuis plusieurs semaines, les faucons de la Maison-Blanche ont multiplié leurs attaques contre l'Iran accusée de vouloir développer l'arme nucléaire, relayés en cela par les dirigeants israéliens qui pointent du doigt la menace iranienne. MEN ACE PERMANENTE Dernièrement encore, le ministre israélien de la Défense, pour justifier les « craintes » de Tel-Aviv, a rappelé à l'issue d'une rencontre avec son homologue américain que l'Iran est « le seul pays qui a annoncé qu'un missile lancé contre Israël détruirait l'Etat juif. Aussi, nous devons être inquiets des efforts des Iraniens pour développer l'arme nucléaire ». Quant à Colin Powel, il a rappelé que l'Administration Bush avait dénoncé depuis trois ans la capacité nucléaire de l'Iran devant la communauté internationale. Plus grave encore, le secrétaire d'Etat américain, pour appuyer les propos de son homologue israélien, est allé jusqu'à soutenir que les Etats-Unis « utiliseront les voies diplomatiques et toutes les autres à leur disposition pour que la communauté internationale appuie les efforts menés pour empêcher l'Iran de continuer à développer son programme nucléaire, ou pire à acquérir une arme nucléaire. » Faut il alors s'étonner après de telles déclarations que l'AIEA emboîte le pas aux Américains et dénonce l'Iran pour son refus de soumettre aux dispositions de non-prolifération en se soumettant à des contrôles inopinés. Et c'est pourquoi il a été beaucoup plus question de cela que du programme nucléaire israélien lors de la visite d'El Baradei à Tel-Aviv. Alors que tout le monde reconnaît aujourd'hui qu'Israël disposerait entre 200 et 400 ogives nucléaires. La revue britannique Jane's intelligence Rewiew estime celles-ci à 400 pour une puissance de 50 mégatonnes, soit l'équivalent à 3850 bombes d'Hiroshima. Un programme mis en place depuis les années 1950 grâce à l'aide de la France à partir de 1956 avec la construction de Dimona dans le désert du Neguev. Dans les années 1980, le journaliste français Pierre Péan a publié un livre dans lequel il relate « comment la France a donné la bombe à Israël, » en pleine guerre d'Algérie en échange d'informations secrètes sur le FLN espionné à partir du Caire par les services israéliens. Beaucoup plus tard, le ministre travailliste israélien Shimon Peres considéré comme le père du programme nucléaire a reconnu en novembre 2001 que la France avait accepté de doter Israël « d'une capacité nucléaire. » Il n'en demeure pas moins que Tel-Aviv a toujours refusé de se soumettre aux dispositions du traité de non-prolifération des armes stratégiques, à partir de 1969 au terme d'un accord tactique avec les Etats-Unis, et surtout d'un simulacre d'inspections effectuées par des experts américains sur les sites américains, elle s'abstiendra de toute déclaration publique et de procéder à aucun test sur le territoire. Pour contourner ces « obstacles », Israël cherchera et développera à partir des années 1970 sa coopération avec le régime sud-africain de l'apartheid. Et c'est en Afrique du Sud qu'il poursuivra la mise au point de son programme nucléaire, notamment dans le désert du Kalahari et dans le Pacifique. A telle enseigne que Tel-Aviv aurait même envisagé l'utilisation de l'arme nucléaire lors de la guerre israélo-arabe d'octobre 1973 à l'aide des ogives portées par des vecteurs aussi bien de fabrication américaine ou carrément par des missiles de type Jéricho mis au au point par l'armée israélienne. Elle poursuivra sa stratégie de dissuation en développant ainsi sa doctrine de la suprématie militaire au Proche-Orient au point où en 1981 en pleine guerre irano-irakienne, elle bombardera le réacteur nucléaire irakien de Tamuz installé avec la coopération française. Par cet acte de guerre contre l'Irak, elle allait innover en matière de guerre préventive plus d'une vingtaine d'années avant les Etats-Unis quand l'Administration Bush a prétendu neutraliser le risque de l'utilisation par l'Irak d'armes de destruction massive et de lancer une guerre d'ocupation appuyée par une coalition européenne et asiatique. Il serait donc illusoire après la confirmation d'une stratégie qui s'est avérée opérante pour Israël vingt ans plus tard que Tel-Aviv y renonce et accepte la dénucléarisation de la région du Proche-Orient