La condamnation du petit Oussama Guettaf, âgé de 5 ans, par le tribunal correctionnel d'El Ménéa, lundi dernier, a provoqué une onde de choc dans les milieux français de la magistrature, notamment à Bobigny, siège du plus important tribunal pour enfants de France. Paris : De notre bureau Dans la matinée de jeudi, les avocats algériens ont été les premiers à faire les frais de cette information lue sur les sites des journaux. Salima, du barreau de Paris raconte : « J'étais surprise par la confirmation de l'info. Mes collègues, toutes origines confondues, médusés par le caractère grotesque de cette affaire attendaient de nous, avocats algériens, des explications, alors qu'on venait d'apprendre la nouvelle comme tout le monde. Que fallait-il y répondre, que ce n'était pas vrai, qu'il s'agissait d'une erreur ? Franchement, on avait honte. Aussi loin que l'on remonte dans les annales judiciaires, aucun auteur ne rapporte pareil cas de condamnation d'un bébé qui sort à peine de sa poussette. A mon sens, le Royaume-Uni est le seul pays qui a été loin dans ce processus de criminalisation juvénile par la condamnation d'un enfant de 11 ans vers la fin des années 1990. Ce fut le point de départ pour un tollé international. » L'enfant d'El Ménéa, détenteur d'un record mondial hors du commun, est entré dans la légende malgré lui dans l'univers criminel pour « coups et blessures volontaires » sur la personne de sa tante paternelle. Cet outrage à l'enfance éclabousse l'Algérie hors de ses frontières. En effet, certains magistrats se demandent si notre pays ne va pas basculer comme « zone d'insécurité judiciaire » pour tous les enfants, y compris les étrangers de passage, notamment les enfants de couples mixtes sujets de litiges. Guettaf Oussama a été traité comme un adulte délinquant. Il a reçu une convocation à son nom par la PJ qui a tenté, en vain, de l'auditionner. Le bambin ne comprenant rien à la mise en scène et ne pouvait s'exprimer avec cohérence. Il a été jugé en audience publique et condamné à une peine dont il ne comprend pas le sens. La loi a-t-elle été respectée ? Nous avons posé la question à Me Mansour Kassanti du barreau de Blida. Il nous a expliqué que « les textes ne fixent pas de seuil minimum quant à la minorité ». Par conséquent, le mineur est la personne âgée de... 0 à 18 ans, puisque l'article 448 du code de procédure pénale est ainsi conçu : « Pour la poursuite des crimes et délits commis par les mineurs de 18 ans, l'action publique est exercée par le procureur de la République près le tribunal ». Evidemment, le législateur algérien n'a pas précisé que les nourrissons, les bébés et les enfants de la maternelle ne sont pas concernés par les articles 442, 444 et 448 du CPP. S'agit-il d'une négligence ? Absolument pas, répond l'avocat, si l'on considère que l'institution judiciaire doit appliquer la loi avec discernement au risque de se ridiculiser. Dans tous les pays, un enfant est rarement traduit en pénal avant l'âge de 12 ou 13 ans. En deçà de cet âge, nous confirme Sahnoun Ridouh, psychologue clinicien, expert près les tribunaux de l'île de France, l'enfant n'est pas capable de conceptualisation symbolique. A 5 ans, il est au stade concret et en pleine construction. Il n'a pas d'aptitudes à comprendre le sens d'une décision judiciaire. Au sens pénal du terme, il est irresponsable. Quand le juge dit « coups et blessures volontaires », il s'agit en fait d'agitations psychomotrices sans intention de nuisance au sens légal du terme. La condamnation de cet enfant ne concerne même plus le champ du discernement, puisqu'il est victime d'une forfaiture qui lui confère un statut identique à celui d'un prévenu adulte. Pour le psychologue, « Oussama est mal parti dans la vie. Il est mis à l'écart en début de carrière. Cette expérience comporte, malheureusement, des conséquences sur le double aspect social et psychologique. Aujourd'hui, il n'est pas en mesure d'évaluer l'événement qui l'accable. Mais plus tard, il risque d'intégrer cette sentence comme un élément constitutif de sa personnalité. Il va grandir avec le titre de repris de justice. Il va se construire sur le modèle du coupable que lui a configuré le juge. Il va positiver cette expérience à sa façon pour confirmer une personnalité qu'il va forger progressivement dans le sens que lui a imposé ce tribunal. L'institution judiciaire et ses énormes pouvoirs symboliques l'ont qualifié et disqualifié. Il a désormais le titre de délinquant confirmé, de marginal frappé d'une malédiction originelle. Il est disqualifié dans son statut de futur citoyen, de père de famille, de membre d'une collectivité ou d'un être normal. Il démarre dans la vie avec une charge énorme dans un processus de culpabilité et de stigmatisations qu'il devra porter lui et sa famille. Sans compter le sentiment d'échec et de victimisation puisqu'il entendra aussi qu'il est objet d'une erreur judiciaire. » Et comment devront réagir les parents pour limiter les dégâts ? L'expert est catégorique : « Dans cette affaire, il est plus efficace de défaire que de faire. Les parents ont le choix entre une longue thérapie aussi coûteuse que laborieuse et une action en justice contre l'emballement judiciaire dont leur enfant a été victime. Cette action incontournable serait plus productive d'effets que de s'enfermer dans le statut de victime résignée. Il faut que les parents actionnent l'Etat en justice, sans quoi, ce sera Oussama, adulte qui risque de régler ses comptes avec la société dans un processus de violence. » En décembre 1992, l'Algérie a ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant. Au sens de l'article 40 de cette loi internationale, « tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction pénale a droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité ». Dans le prétoire du tribunal d'El Ménéa, la dignité de l'enfant avait l'air absurde. La justice aussi.