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Bonnes feuilles
Le juge et le spectre, de Abdelmalek Smari
Publié dans El Watan le 24 - 08 - 2018


Les miroirs de l'asile des fous
– Que faisais-tu au cimetière, toute seule, dans la nuit ? demanda le juge à la jeune femme, pendant que l'huissier cherchait à fermer les battants de la fenêtre qu'un coup de vent avait ouverts violemment.
– J'étais en train de creuser une tombe, dit-elle avec une fierté qui palpitait sur le visage et dans la voix.
– Tu sais, Adra, ma fille, dit le vieux juge avec un ton plein de reproches, tu sais qu'il est absolument interdit de faire une chose pareille. Tu te rends compte du délit que tu as commis ?
– C'est pas un délit, M. l'juge...
– Monsieur le président ! rectifia le juge.
– M. le président, ce n'est pas un délit. Le délit, par contre, le crime des crimes, c'est de brûler vifs les gens, s'écria-t-elle, puis fondit en larmes au souvenir douloureux.
– Outre la raison, as-tu perdu la mémoire aussi ? poursuivit le juge froidement.
– Quelle raison ? la vôtre, peut-être ? celle qui m'a brisé le cœur et m'a réduite en une larve humaine ? D'ailleurs je ne l'ai jamais eue, votre raison, comment pourrais-je la perdre ? Quant à ma mémoire, elle est maintenant plus enflammée que jamais et plus vive encore.
Adra se souvint du jour où son habit de noces blanc s'est entaché de honte et de désespoir, quand l'hyperprotection stupide de sa mère lui avait fait perdre l'homme qu'elle avait aimé et qu'elle aimait encore.
Plus tard, l'université lui donna une lueur d'espoir : outre à obtenir une certaine autonomie, en gagnant sa vie comme jeune enseignante, elle était arrivée après tant d'âpres combats à obtenir un minuscule logement de fonction, composé seulement d'une pièce et d'une cuisine.
Les gens avaient crié au scandale, à la dissolution morale de la cité. Ils l'avaient traitée de tous les noms et l'avaient considérée de mœurs faciles et douteuses, dangereuse, pécheresse, elle, une femme forte de caractère, cultivée et émancipée ! En fait, elle savait ce qu'elle attendait de la vie et elle avait la volonté et la capacité de réaliser ses projets et ses rêves. Rien ni personne ne saurait la contraindre à vivre autrement.
«Le moment est arrivé –pensait-elle alors– où la femme doit reprendre avec force les rênes de son destin. Kahina n'était-ce pas une femme qui commandait le destin de ses sujets, hommes? N'était-elle pas, elle, la reine berbère, qui avait vaincu des généraux arabes ?»
Les gens lui avaient rendu difficile la vie et ne cessaient guère de la calomnier et de l'accuser de débauche et de dépravation : «Sa maison est une maison de rendez-vous ! Pour combien de temps encore les gens honnêtes devront-ils supporter ses nuits d'orgies et de partouzes ?»
Avec la montée de l'intégrisme, les choses se détérioraient et sa vie devenait un marasme, un recueil d'angoisses et de cauchemars.
Après de nombreuses lettres de menaces, auxquelles elle avait opposé, seule contre tous, un courage et une résistance héroïques, advint l'enfer. Un jour, pendant qu'elle était en train de lire, tard dans la nuit comme à son habitude, elle avait senti l'odeur d'essence.
C'était le seul détail dont elle se souvenait, le reste, elle l'avait appris par la police, deux mois plus tard : on avait essayé de la brûler vive pour sa bêtise.
...
Nikita et les enfants de la rue
C'était le Jour de l'An à Milan, M. l'juge !
«Même les chiens sont des créatures lâches...»
«Soixante-dix ans, j'ai bossé...» «chier du sang...»
«Qui sait ce qu'on est en train de mijoter là-haut...»
«Moi, j'y suis allé, je lui ai dit...» «Que diable êtes-vous en train de combiner ?»
«Putain de truie !»…
– Oh Gianni, toi, boucle-la, c'est ta putain de femme qui est une truie, dit Alba, une femme dont la voix a dominé le vacarme général d'une foule de clochards et d'ivrognes avec des visages d'hommes, malmenés par l'existence, mais hilares.
Samir était allé au jardin public du fameux Castello. Il y en avait un près de l'Acqua Marcia, la fontaine qui sent le soufre, un feu assez nourri, alimenté de quelques rameaux et de quelques racines d'un arbre abattu et abandonné, et autour de ce feu, des enfants de la rue misérables et gais, des sacs de
types divers, des tranches du fameux gâteau milanais le panettone, du linge étendu qui fumait sur les ronces des haies, des cartons de vin et de bouteilles de bière.
Gianni riait, mais il ne répondait pas à Alba. Il vit un petit homme – Galletto – qui s'affairait à jeter aux flammes un jeans et retournait ensuite vers le banc pour prendre une chemise blanche. Il se dirigea vers le feu et la jeta également au bûcher.
Gianni avait cessé de rire pour l'observer. Il s'exclama : Putain de truie ! puis en s'excusant, avec mes respects madame, dit-il à Alba, puis de nouveau à Galletto, tu n'es tout de même pas à Paris !
– Ecoute Gianni, tu veux travailler ? prends ce rameau, Galletto indiqua son pénis, jette-le au feu. Je te paierai un casse-croûte bien garni ce soir à Brera, le Montmartre de Milan.
– Espèce de salaud, dit Gianni, en éclatant de rire, maintenant tu veux faire le patron, le donneur de boulot !
– Vous avez vu, il ne veut pas travailler, le misérable.
– Faux dieu de porc, antéchrist, imposteur ! tonna de nouveau Alba. Oh toi, tu te la boucles ou non ?
Elle s'est mise depuis quelque temps à suivre Fausto du regard. Il avait, semble-t-il, la tâche d'alimenter les flammes et de nettoyer le lieu autour du foyer.
– Bravo Fausto ! dit Galletto en applaudissant
– Bravo est-ce que ta femme cherche, dit-il en indiquant son pénis. Vous êtes des lâches, tous autant que vous êtes. Moi j'suis pas un dégonflé, c'est debout que je crèverai.
– Par contre toi, Gianni, tu tomberas comme un rameau mort, commenta Galletto en se détournant de Fausto.
– Quand je tomberai, tu tomberas toi aussi avec moi !
– Vous parlez, vous parlez, dit Fausto, mais quand il s'agit de prendre des décisions, vous reculez, espèces de salauds ! Couillons que vous êtes ! Mais, putain de gouvernement, pourquoi les extra-communautaires ont un boulot et nous non ? ils ont les maisons et nous, non ? Moi je brûlerai vos lois, je mettrai une tonne de TNT et je ferai sauter le bureau de main-d'oeuvre de cette ville de merde ! Bâtards, ennemis de l'Italie !
– Des Italiens, corrigea Galletto.
– Tu ressembles à Adam, susurra à peine Alba à Samir, tu es du signe de la balance, n'est-ce pas ?
– Comment le sais-tu ?
– Tu es calme comme lui. Tu crois que, lui, il aurait supporté cette vie maudite s'il n'avait pas inventé les noms des choses ?
– Je suis fils d'Adam, tu sais ? nous le sommes tous, même les Italiens. Nous sommes tous des frères...
– Frères, dis-tu ? intervint Fausto, non, je regrette. Toi, tu manges et tu rotes pendant que tes soi-disant frères crèvent de faim. Et s'il t'en reste quelques miettes, tu préfères plutôt les jeter dans la poubelle... j'en suis sûr.
Le carrefour
– Les laveurs de vitres mesurent le temps avec l'intermittence des feux. C'est : ou rouge ou jaune ou vert. L'homme, selon moi, ne peut avoir une idée claire sur la liberté si ce n'est que comme dans un «jeu» de signaux lumineux, à la feu-rouge. Si les hommes, où et quels qu'ils soient, maîtres ou sujets, grands ou petits, algériens ou italiens, voulaient se respecter et respecter les autres, il n'y aurait jamais de souffrance sur la terre. Un monde juste ne saurait exister s'il n'obéissait pas à des règles identiques pour tous, comme au feu rouge : celui qui arrive le premier se fait servir le premier, le dernier doit attendre son tour, son feu vert.
– Ce n'est guère une question de qui arrive le premier ou le dernier, c'est plus compliqué que ça...
– Pourtant c'est très simple. Moi, par exemple, je n'aurais pas besoin de boire chaque jour ma bière ou de manger de la viande. Comme je te l'ai dit, je mange peu, mais je ne suis pas mort pour autant.
– Le pauvre !, murmura Katia.
– Qu'est-ce que tu as dit ? lui demanda-t-il avec des yeux incandescents.
– Rien, continue.
– La liberté à la feu-rouge est la meilleure parmi toutes les autres formes de la liberté jamais imaginée, car elle n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour aboutir à la justice. Il est illusoire d'imaginer la liberté comme absence de contraintes ou de règles. Personne, à ma connaissance, n'a pris la liberté comme un moyen.
Le travail, le savoir, la justice, l'économie, la guerre même ont toujours été considérés comme des instruments dans les mains des philosophes pour réaliser ce songe suprême qui est la liberté. L'erreur des philosophes, pour la plupart, c'est qu'ils cherchent des réponses à des questions pas encore soulevées ou mal formulées.
D'ailleurs, dès qu'ils pensent être déjà arrivés à quelque semblant de solution satisfaisante, ils s'arrêtent sans aller au-delà. Peut-être par peur de remettre en question leurs méthodes de raisonnement et leurs prétendues certitudes. Au fond, pourquoi cherche-t-on à être libre ? Oui, c'est cette question qu'il nous faut nous poser.
Considérons un instant les automobilistes : avec un feu rouge qui durerait un quart d'heure, ils deviendraient fous, mais il suffirait de leur donner une minute du même rouge pour les voir contents et arrogants comme des dieux... pourquoi, selon toi ? Pour la simple et bonne raison qu'il ne dure pas plus de soixante secondes et, eux, ils savent, dans ce cas, qu'ils ont peu à souffrir.
Mais le motif principal est que l'autorisation accordée par le feu rouge est répartie avec équité. A ce moment précis, un petit garçon s'approcha de la voiture de Katia, qui saisit un euro parmi la monnaie éparpillée autour du levier de vitesse et le lui donna. Il avait l'aspect très sale et il puait. Samir fit de même avec dix centimes.
– C'est plein de mendiants, dit-il. Que veux-tu, la ville enfante ses parasites. Il s'appelle Mir et ça signifie «aisé» en albanais. Je l'ai connu récemment. Il est pauvre, le pauvre ! Nous ne nous comprenons pas bien, mais nous arrivons à communiquer un peu.
Ils ont la guerre, chez eux, à cause de l'égoïsme cruel des fabricants et trafiquants d'armes et de la soumission stupide des serfs du capital et des capitalistes. La guerre, c'est une peste. Elle est tout à fait le contraire de la liberté. C'est de l'injustice, de l'usurpation du droit des hommes à la dignité.
– Mais, dit Katia, perplexe, je n'arrive pas à comprendre l'idée d'une liberté réduite à un simple instrument et non pas à une fin en soi ! Au service de quoi ? Pourquoi ? C'est étrange, généralement on vit en totale harmonie avec soi-même, avec ses idées, ses rêves, mais à peine cherche-t-on à enfermer ces particularités de la vie dans des mots, que la réalité qu'on croit acquise s'évapore tout d'un coup et tout devient improvisation confuse et indicible.
La circulation se libéra et Samir descendit précipitamment.
– Adieu Katia, murmura-t-il.
L'impatience et la frénésie reprirent de plus belle... certains automobilistes insultaient le garçon. Ils avaient le feu vert.


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