Ces importants changements interviennent à seulement quelques mois d'un rendez-vous politique décisif, celui de l'élection présidentielle, devant avoir lieu en avril 2019, mais dont les contours peinent à se dessiner. A qui le tour ? Le remaniement qui s'opère au sein du haut commandement militaire durant ce mois d'août prend les allures d'un vaste mouvement. Une lame de fond. Pour l'heure, sur les six Régions militaires que compte l'ANP, cinq ont connu des changements à leur tête, à l'exception de la 5e Région (Constantine). Hier, c'était au tour du général-major Cherif Abderrezak, commandant de la 4e Région, de quitter Ouargla, envoyé à la «retraite» pour être remplacé par son adjoint Hassan Alaïmya. Le même jour, le commandement de la 3e Région militaire change de main. Son désormais ex-patron, le très discret et non moins puissant Saïd Chengriha, quitte Béchar. Non pas pour partir à la retraite, contrairement à ses collègues des autres Régions, mais pour passer une autre marche. Il est nommé Commandant des forces terrestres (CFT), succédant ainsi au vétéran Lahcen Tafer, en poste depuis 2004. Une promotion majeure pour ce haut gradé. Il devient à la faveur de cette nomination le troisième personnage de l'armée après le chef suprême des forces armées (président de la République) et le chef d'état-major. Un poste hautement stratégique dans la chaîne du commandement militaire. Une rampe de lancement. Dans la tradition de l'armée algérienne — une règle non écrite — le Commandement des forces terrestres constitue souvent une ultime étape pour atteindre la dernière marche. Une voie royale qui mène tout droit vers le sommet de la hiérarchie militaire. C'était le cas pour l'actuel chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah, avant lui Mohamed Lamari et Khaled Nezzar. Manifestement, cette règle n'est pas appliquée à Lahcen Tafer. Le général-major Saïd Chengriha marchera-t-il sur les pas de ses anciens hiérarques de la grande muette ? De toute évidence, l'homme, désormais le plus ancien dans le grade de général-major, a «brillamment» assuré sa mission dans le très mouvant Grand Sud-Ouest. Il présente les qualités nécessaires pour y parvenir. En somme, cette large et profonde réorganisation du haut commandement militaire est dictée par de multiples raisons. Le chef d'état-major met en avant la nécessité d'instaurer «les règles d'alternance dans les fonctions et en faire une tradition militaire (...)». Il faut dire également que l'essentiel du commandement militaire est vieillissant et «usé» par la durée dans la fonction. Cette usure, en plus qu'elle empêche l'émergence de la jeune garde suffisamment outillée pour prendre les commandes, peut souvent donner lieu à des comportements nocifs pour l'institution. Mais à observer les nouvelles nominations, on peut constater que les nouveaux chefs sont tout aussi âgés. Au-delà des explications liées exclusivement aux impératifs de réorganisation de l'institution militaire et la nécessité «d'impulser du sang neuf pour une nouvelle dynamique», ce mouvement suggère des lectures politiques. D'abord en raison du contexte dans lequel évolue le pays. Ces importants changements interviennent à seulement quelques mois d'un rendez-vous politique décisif, celui de l'élection présidentielle, devant avoir lieu en avril 2019, mais dont les contours peinent à se dessiner. L'épais brouillard qui couvre le ciel politique national renforce l'incertitude. L'ensemble de la classe politique semble figé, comme pris en otage par le mystère qui entoure les intentions de l'actuel locataire d'El Mouradia. La vie politique est plutôt marquée par un parasitage des «partisans» agités et apeurés, que par un débat de fond en mesure d'ouvrir des perspectives nouvelles pour le pays. C'est ainsi que se pose la question de savoir si ces changements au sein de la l'armée connaîtront des prolongements aussi importants au sein de la direction politique du pays. Gagnée par un sentiment d'inquiétude, la société dans ses différentes strates semble préoccupée sérieusement par la manière avec laquelle le pays enjambera l'étape cruciale de 2019. Comment sortir par le haut et sans dégâts. En l'absence de mécanismes modernes et efficients pouvant réguler les changements politiques, les détenteurs du pouvoir seront contraints de puiser — comme de tradition — dans un fonctionnement archaïque du système. Cependant, cette mécanique à reconfigurer le pouvoir politique est de plus en plus rouillée, d'autant que les arbitrages ne sont pas assurés de la même manière. Sauf dans le cas d'une reprise en main qui s'exprime à la faveur des changements au sein de la grande muette.