«De sang et d'espoir» (éditions Wallada, collection La «merlette moqueuse», 2018) est le second recueil de poèmes de Ghanima Ammour. Elle publie son premier recueil en octobre 2010 sous le titre de «Mémoires de mes automnes». Le recueil «De sang et d'espoir» célèbre l'identité berbère, les racines et l'héritage ancestral de son auteure. Il commence par un poème en kabyle, «Asefru», et s'achève par un autre poème dans la même langue, «Tuzma» (reproche). Les poèmes de Ghanima Ammour témoignent aussi de son engagement contre la violence, l'extrémisme islamiste, de l'hommage qu'elle rend aux intellectuels et aux militants de la démocratie et de la citoyenneté victimes du terrorisme islamiste. Mais aussi de l'espoir d'une Algérie apaisée. Aussi, c'est particulièrement par la poésie que Ghanima Ammour traduit son engagement citoyen. D'une belle voix chaude et grave, tantôt chantante, tantôt murmurante. On l'écouterait des heures déclamer sa poésie ou celle de poètes qui nourrissent son imaginaire et la confortent dans sa création propre. «Je sens ce besoin de transmission orale. Je suis dans l'oralité, la rencontre avec le public», dit-elle dans un échange avec son éditrice, Françoise Mingot-Tauran. – Vous vous insurgez contre l'injustice et l'arbitraire. D'où vous vient cette rébellion ? Cette rébellion me vient des premières injustices que j'ai eu à subir. La première, c'est le grand frère, un adolescent, d'une camarade de classe qui me l'a infligée. J'étais en première année primaire. J'avais une boîte de douze crayons de couleurs, sa sœur, constatant que j'avais plus de crayons qu'elle, elle dont la famille était plus aisée que la mienne, et ne le supportant pas, était aller lui dire que je lui avais volé ses crayons. Le frère m'accusa de voleuse et me donna une gifle, sans prendre la peine d'écouter ma version des faits. Il n'était pas question, pour moi, de faire part de cet incident à mes parents. Seule ma sœur à qui je m'etais confiée était au courant. Ce sentiment d'injustice et d'humiliation m'avait fait plus mal que la gifle qui, pourtant, était vigoureuse. La deuxième injustice s'est produite quelques années plus tard. Les bons résultats scolaires que j'avais obtenus en CM1 me donnaient la possibilité de sauter une classe pour passer l'examen d'entrée en sixième. Ma mère m'avait accompagnée pour s'informer des documents à fournir pour ce faire. Mais cette opportunité que je devais à mes efforts et à mes résultats scolaires n'avait pas pu se concrétiser. J'avais eu alors le sentiment que je n'avais pas été retenue parce que mes parents étaient de condition modeste et pas instruits. La troisième injustice me vient du fait que je n'avais pas eu de prix récompensant mes résultats scolaires. J'ai fini par apprendre qu'il ne fallait rien attendre. Ces injustices ont renforcé mon besoin d'équité et de justice. – De vos poèmes ressort une invitation au dialogue ? Je dis les choses comme je les ressens. J'appelle effectivement au dialogue, au débat et à l'échange d'idées. Malheureusement l'invective l'emporte. Je prends langue avec des citoyens, des acteurs associatifs de tous bords, des militants politiques de toutes sensibilités, quand c'est possible. Je suis contre les divisions, les exclusions, l'intolérance. – Comment êtes-vous venue à la poésie ? J'ai commencé par déclamer des poèmes avant même de pouvoir les écrire. La poésie ne m'a jamais été étrangère, j'ai baigné dans la poésie déclamée par mon père et chantée par ma mère. Mon père est un poète oral en kabyle. J'ai ensuite côtoyé Victor Hugo, Ahmed Azeggagh 1 et Anna Greki 2 grâce à l'instruction et à l'école. La récitation était une matière scolaire qui m'était légère et attrayante. J'aimais chanter les poèmes, les mettre en musique. Mon terreau est dans l'humour d'abord, dans la nature ensuite. Ce qui me révolte, c'est la violence et la guerre. Dans un poème j'écris que la guerre a survécu aux plus têtus des hommes de paix. Il y a toujours un moyen d'éviter une guerre. Mes premiers poèmes remontent à l'âge de six-sept ans, c'était de la création, j'avais la sonorité poétique dans les oreilles. J'ai transcrit mon premier poème à douze ans. J'ai publié mon premier recueil en 2010. – Pourquoi si tard ? Je ne pensais pas avoir de lecteurs et l'assassinat de mes aînés a fait en sorte que je me décide à rendre publics mes poèmes. En 1993 une journaliste m'avait dit qu'il valait mieux pour moi rester témoin plutôt que me jeter en pâture dans une Algérie où les plumes étaient assassinées. Alors que sévissait le terrorisme islamiste, je marchais dans Alger, je constatais la transformation de la ville, je ne voyais pas où on allait, j'avais peur. J'éprouve une forme de lâcheté d'avoir survécu à ces femmes et ces hommes. Ce livre est pour moi comme une résilience. – Votre regard sur l'Algérie ? J'ai mal. J'ai l'impression que l'Algérie que j'aime et que j'ai rêvée restera juste dans mon esprit et mon cœur, une Algérie paisible, tolérante, multiple Vous êtes résignée ? Il y a beaucoup de travail à faire. Naïvement, je crois encore en la force de la jeunesse. Il suffit qu'on la laisse s'exprimer. Je ne pense pas être pessimiste, ni résignée. J'ai commencé à animer un atelier d'écriture avec des enfants pour leur faire goûter l'art poétique en kabyle et en français parce que les enfants sont les citoyens de demain, la poésie et l'écriture vont avec la liberté d'expression. Je l'ai fait une fois avec Racont'arts (festival itinérant de Kabylie). Les enfants m'ont rendu plus que je leur ai donné. – Quels sont vos thèmes de prédilection ? La violence, la guerre. J'ai envie d'aller vers une écriture plus apaisée, d'où l'espoir que je mets dans ce recueil. J'ai été très touchée par l'assassinat de Nabila Djahnine par les islamistes, (lire ci-contre le poème par lequel Ghanima Ammour lui rend hommage, ndlr) par son courage, par celui de Rabah Guenzet (le poème Petite orpheline, écrit à la mémoire du syndicaliste, ndlr) et tant d'autres. Toute petite, j'entendais ma mère chanter comment Fadhma N'soumeur avait tué sept généraux. Ce n'est pas vrai mais ça a nourri mon désir de me battre, Fadhma N'soumeur a nourri notre combat. Ma mère, interdite de séjour en Kabylie pour son engagement dans la lutte de libération nationale, avait continué son combat pour l'indépendance de l'Algérie à Alger où ma famille était contrainte de se replier. Mon recueil «Mémoires de mes automnes» (2010) est une dénonciation de la violence islamiste qui a meurtri l'Algérie et les Algériens, il faut une justice. Ils ont tué nos aînés qui ont étudié dans des conditions difficiles, qui sont des exemples pour nous. «Oh gens de mon pays, c'est avec la sueur de mon cerveau que je vais vous masser» (Maatoub Lounes ). Le massage a une vertu curative, qui soulage ! – Ghanima Ammour – est née le 1er mai (et enregistrée le 7 mai) 1967 à Yakouren. Enarque, elle est sortie de l'Ecole nationale d'administration (ENA) d'Alger avec un diplôme en économie et finances. Depuis une dizaine d'années, elle vit en France mais effectue des séjours fréquents en Algérie. Depuis 1989, sa vie associative en Algérie et en France est très intense et multiple. Le combat pour la reconnaissance de l'interculturel et du pluriculturel lui tient particulièrement à cœur. Ses textes ont été étudiés en 2016 au collège Lapassat en Ardèche dans le cadre des journées contre les discriminations organisées par l'artiste plasticien-sculpteur Max Boyer.