C'est le mensonge le mieux entretenu de l'histoire. En septembre 1939, l'Armée rouge, qui envahit la Pologne, arrête massivement des officiers, des intellectuels, des avocats et des étudiants. Leur nombre dépasse les 25 000. Certains sont envoyés dans des goulags, d'autres internés dans les camps de Kozielsk, Starobielsk et Ostachkov. En mars 1940, 4410 prisonniers sont exécutés d'une balle dans la tête dans la forêt de Katyn, non loin de Smolensk, à l'ouest de la Russie. Ils sont ensuite enterrés dans des fosses communes. La propagande accuse l'armée allemande d'avoir commis le massacre. Pendant longtemps, cela avait été considéré comme « une vérité absolue ». La raison est simple : il est facile de charger l'armée nazie plutôt que d'accuser l'armée soviétique. Andrzej Wajda, le plus illustre des réalisateurs polonais, a perdu son père, Jakub, capitaine au 72e régiment d'infanterie, dans cette tuerie perpétrée par étapes, puisque Katyn n'était qu'un endroit parmi tant d'autres. S'inspirant du livre de Andrzej Mularczyk, Post Mortem, le cinéaste, aidé par le scénariste Wladyslaw Pasikowski, a en 2007 réalisé le film, Katyn, projeté samedi soir à la salle Ibn Zeydoun, à Riadh El Feth à Alger, dans le cadre des Journées du film européen. Dès le début du film, la situation de la Pologne est symbolisée par la rencontre sur un pont de deux groupes de civils, l'un fuyant la Wermacht et l'autre l'Armée rouge. En août 1939, Moscou et Berlin signent un traité de non-agression, le Pacte Molotov-Ribbentrop, du nom des ministres des Affaires étrangères des deux pays. Pacte qui définit également un partage d'influence, d'où l'envahissement de la Pologne en septembre de la même année. Andrzej Wajda montre la brutalité des nazis fermant l'université de Cracovie accusée de« propagande anti-allemande » et envoyant les professeurs dans « un camp de travail ». Dans les rues enneigées de la ville, la propagande battait son plein : « l'Armée rouge est votre seul ami ! ». Anna (jouée par Maja Ostaszewska), et sa fille Nika, attendait avec impatience le retour de son mari, l'ingénieur Andrzej (campé par Artur Zmijewski), arrêté avec des milliers d'autres officiers. Des messages et de l'espoir. Et puis au printemps 1940, les nouvelles de la mort arrivaient comme des vagues de froid. Par haut-parleur, une voix métallique égrenait les noms des officiers décédés : des carnets de vaccin ou des lettres suffisaient pour préciser l'identité. Naissaient alors des confusion et des erreurs. Andrzej fut éxécuté, mais on s'était trompé sur le nom. Anna et sa belle-mère continuaient à espérer jusqu'au jour où un officier SS convoqua Anna et lui présenta « les condoléances » d'Adolf Hitler. La femme refusa de croire au décès de son époux et de signer un papier. Mais, un film lui a été montré pour la convaincre (authentique document de la Wermacht repris par le long métrage) : des centaines de cadavres sont étalés par terre, des médecins auscultent des crânes portant des trous... « Une balle dans la nuque, la méthode bolchevique », criait le commentateur. En 1941, après l'invasion allemande de l'URSS, le Pacte Molotov-Ribbentrop fut rompu. Les médias nazis évoquaient, à plusieurs reprises jusqu'en 1943, la découverte de charniers dans les forêts. Staline avait donné ordre au NKVD (police politique, ancêtre du KGB) d'exécuter tous « les anti-communistes » et « les contre-révolutionnaires » polonais, d'où la boucherie de Katyn. Transportés dans des fourgons noirs, les prisonniers, mains ligotées, sont exécutés et jetés dans la fosse. D'autres sont tués dans les sous-sols du NKVD à Kharkov, le sang est ensuite nettoyé avec un simple seau d'eau. Rien que dans ces locaux, 3896 prisonniers ont été exécutés ! Cette ambiance lugubre est détaillée par Andrzej Wajda avec ce soucis de dévoiler enfin une vérité. D'où cette présence de la lumière le long du film. Lumière servant de prétexte pour justifier la noirceur ambiante. La musique profonde du célèbre compositeur, Krzysztof Penderecki, intensifie le déroulement dramatique. « J'ai fait ce film par devoir », a confié le cinéaste. Des années après la fin de la guerre, le régime en place en Pologne a interdit toute évocation des crimes de Katyn. Dans le film, l'église est mise en accusation autant que les intellectuels qui ont gardé le silence. « Je suis avec les assassinés pas avec les assassins », a lancé la sœur d'un officier tué à Katyn. Elle n'a pu installer une pierre tombale symbolique dans un cimetière. Pire, elle fut embarquée et emmenée dans les couloirs sombres des services secrets... La complicité dans l'étouffement de la vérité autour des massacres de Katyn est partagée par l'ensemble des historiens, médias, intellectuels et universitaires européens. Il a fallu le courage d'un Mikhaïl Gorbatchev, le père de la perestroïka, qui, en 1990, a reconnu la responsabilité de l'armée soviétique dans ces massacres. Il a alors transmis des listes de victimes à son homologue polonais, le général Jaruzelski à l'époque. Saisie, la justice de Moscou a vite classé le dossier après quinze ans de vraie fausse enquête. Une plainte est déposée contre la Russie à la Cour européenne des droits de l'homme. Ce lourd silence sur Katyn fait perdre toute sa crédibilité aux débats suscités, ces dernières années, sur les massacres des arméniens imputés à l'armée turque.