Naît alors une organisation qui va changer le paysage politique : le Hezbollah, le Parti de Dieu. Celui-ci est chiite et il est encadré par les pasdarans iraniens. Son objectif principal : chasser l'occupant sioniste par tous les moyens. Dès lors s'engage une guerre sans merci. Le Hezbollah introduit dans la bataille une arme redoutable et imparable : les kamikazes. C'est la terreur de l'armée israélienne. Sans compter que le Hezbollah possède des roquettes et des missiles, dont une partie est fabriquée par lui-même. Aux attaques de ces forces de libération, les Israéliens ne répondent que par des agressions contre les populations civiles. Les dégâts sont terribles dans les rangs de l'armée d'occupation. La résistance du Hezbollah est saluée avec admiration et respect, y compris par ses adversaires politiques libanais. C'est le seul, dans tout le monde arabe, qui a compris la nature du conflit et qui a su utiliser la guerre de guérilla à bon escient contre un ennemi hyperpuissant. Aux Américains qui se plaignaient devant le président Emile Lahoud des méthodes employées par le Hezbollah, il a répondu : «J'ai été formé dans vos académies (NDLR : il est général). Vous nous avez appris que lorsque deux armées s'affrontent et que le rapport de force est très déséquilibré, l'alternative qui reste au plus faible est le recours à la guérilla.» Ce recours sera couronné de succès. Sans crier gare, Israël décide de se retirer sans condition du Sud-Liban en 2000. C'est la première fois depuis sa création qu'Israël quitte un pays arabe sans préalables et sans négociations. Pour lui, c'est un cinglant revers politique et militaire qu'il n'ose pas avouer. Le Hezbollah en sort grandi, respecté et surtout redouté. Il a payé le prix du sang. Tout le quartier chiite de Beyrouth est orné de portraits de martyrs qui se sont sacrifiés pour leur pays. A côté d'eux, on retrouve ceux de l'ayatollah Khomeyni et d'autres dignitaires religieux chiites iraniens, irakiens ou libanais. Les mêmes portraits se retrouvent sur la route qui va de la capitale jusqu'à la frontière israélo-libanaise. Tout le long de cette route, on voit, de temps en temps, des bunkers israéliens, ou du moins ce qu'il en reste. A Karjayan, on peut voir encore les restes de l'Armée de libération du Sud (ALS), une armée de supplétifs libanais dirigée par le général Antoine Laahd. Lui a été emmené dans les bagages de l'armée israélienne. Mais ses hommes ont été abandonnés à leur sort. Heureusement pour eux, ils n'ont subi aucune exaction. «Aucun d'eux n'a même pas été giflé», nous dit un responsable de la résistance de cette région et qui, lui, a laissé une jambe dans cette guerre. «Nous les avons laissés retourner dans leur foyer sans problème et sans chercher une quelconque vengeance.» La frontière n'est qu'à quelques kilomètres. On s'y rend. On voit nettement une colonie israélienne construite à flanc de montagne. Elle est à environ 300 m à vol d'oiseau. Nous nous rapprochons jusqu'à une dizaine de mètres d'un poste de l'armée israélienne. On voit nettement derrière la vitre de son bunker un soldat de l'armée de Tsahal. «Tu es fou, dis-je à mon accompagnateur. Ils peuvent nous tirer dessus.» «Il n'y a rien à craindre, me répond-il. Les temps ont changé. S'ils tirent la moindre balle, la riposte du Hezbollah sera immédiate et terrible.» C'est dire que ce parti chiite a acquis une puissance de feu qui fait peur même à l'Etat hébreu qui, jusque-là, dictait sa loi à tout son environnement. C'est cette puissance qui, justement, pose problème aux Libanais. Le Hezbollah est aujourd'hui la seule milice armée et, de ce fait, il a un pouvoir et un moyen de pression que ne possède aucun autre parti. En apparence, les autres Libanais ne considèrent pas cet armement comme une menace pour le Liban. «Il ne peut plus y avoir de guerre civile, soutient le rédacteur en chef du quotidien L'Orient-Le Jour. Le Hezbollah a libéré le sud du pays. Pour la première fois, il avait manifesté, après l'assassinat de Rafic Hariri, avec le drapeau libanais et sous les portraits de dignitaires chiites. Il va s'intégrer dans le jeu démocratique.» Tony Nasrallah, membre du comité d'information du Parti national libéral (PNL) du général Michel Aoun auto-exilé à Paris, ne croit pas, lui aussi, au retour à la violence. «Les pays étrangers n'ont plus intérêt à la guerre civile, que ce soient les Saoudiens (ils ont cherché à créer un puissant parti islamiste), les Syriens ou les Américains. Mais le Hezbollah doit remettre ses armes. Certes, il a libéré le Sud, il a eu beaucoup de martyrs, mais aujourd'hui, c'est à l'Etat libanais de combattre Israël.» Mais le Hezbollah ne l'entend pas de cette oreille. «Nous refusons de remettre les armes, que ce soit avant ou après les élections», soutiennent ses dirigeants. Il estime même que la résolution 1559, qui demande le retrait des troupes syriennes et le désarmement «des milices», est une «déclaration de guerre». Mohamed Raâd, président de la commission parlementaire de la Fidélité à la résistance, va plus loin : «Le parti ne désarmera pas même si Israël se retire des fermes de Chebaâ, car il n'existe aucune garantie contre d'éventuels agressions et massacres que perpétuerait par la suite l'Etat hébreu au Liban-Sud.» Son secrétaire général, Hassan Nasrallah, s'est montré encore plus déterminé. «Nous disons à l'Amérique et à tous ceux qui veulent désarmer la résistance au Liban et en Palestine face à Israël que c'est interdit, que ce n'est pas possible», a-t-il soutenu lors d'un récent rassemblement, avant d'ajouter sur un ton de défi : «Ce qu'il leur reste à faire, c'est que le Américains viennent eux-mêmes désarmer la résistance et les camps (de réfugiés palestiniens) au Liban.» Bien entendu, le parti jure ses grands dieux que s'il garde les armes, ce n'est en aucun cas dans le but d'avoir une suprématie sur les autres formations ou de les intimider. En public, ces dernières ne manifestent aucune inquiétude. Mais en privé, certaines craignent que son discours ne soit destiné à la consommation interne et internationale. Des opposants ont surtout peur que ses relations étroites avec la Syrie et l'Iran et son appartenance religieuse le poussent à privilégier ses relations avec ces derniers au détriment des intérêts du Liban. «Sur le plan strictement religieux, le Hezbollah est proche des Alaouites (ils sont les maîtres absolus de la Syrie, alors qu'ils ne représentent que 7% de la population), lesquels sont nés d'une scission chiite», a tenu à souligner un diplomate étranger. Une autre personnalité libanaise est encore plus inquiète : «La plupart des dirigeants du Hezbollah, y compris Hassan Nasrallah, ont été formés au séminaire de Qom (Iran) et non à celui de Najaf (Irak). Or, la lithurgie dans le chiisme iranien diffère de celle du chiisme arabe, m'a-t-il dit. A partir de là, il faut s'interroger. A qui va l'allégeance ? En plus, l'encadrement des combattants du Hezbollah est assuré jusqu'à ce jour par les pasdarans.» Il est bien futé celui qui se retrouvera dans cet imbroglio. Difficile de se retrouver quand on trouve en plein quartier chiite un magasin vendant uniquement des strings et des dessous féminins en cuir et que des femmes voilées achètent des billets de loterie.